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d’un côté la permanence et l’immobilité, de l’autre le changement et la diversité. La géologie devint bientôt le lien de ces deux classes de sciences. Il fut démontré que la terre n’avait pas toujours été dans l’état actuel, et soit que l’on admette avec les uns la théorie des cataclysmes, avec les autres la théorie des actions lentes, on est forcé de reconnaître que la nature a eu son histoire. Non-seulement la géologie, mais la zoologie et la botanique entrèrent dans cette voie ; il fut établi que les habitans de la terre, comme la terre elle-même, avaient changé. On essaya de trouver un ordre entre ces empires successifs contemporains des diverses couches géologiques, et l’expression d’histoire naturelle, qui n’avait signifié d’abord que science de la nature, se retrouva justifiée dans son acception nouvelle. Enfin, tandis que la géologie et la zoologie entraient dans cette voie historique, l’astronomie elle-même les suivait de loin, et au moins par hypothèse elle nous faisait assister à l’éclosion des mondes et au développement du système planétaire. Ainsi le passé est entré comme objet dans les sciences de la nature, et elles sont devenues historiques sans cesser d’être des sciences.

Mais s’il a fallu beaucoup de temps et une attention très particulière pour s’apercevoir que la nature a changé, il est au contraire une classe d’êtres où le changement est si visible et où le passé joue un rôle si considérable, que l’on a dû être de très bonne heure frappé d’un fait si éclatant. Je veux parler de l’espèce humaine. Dans cette espèce, l’extrême complexité des individus et les rencontres innombrables où ils se trouvent avec les circonstances extérieures donnent lieu à des phénomènes bien plus variés que dans les autres classes, même chez les animaux les plus élevés. De très bonne heure l’homme a dû être attentif à ces phénomènes si frappans et qui l’intéressaient de si près ; il a dû en garder le souvenir : de là les contes, les traditions, les fables qui sont les origines de l’histoire ; de là l’histoire elle-même, qui a pour objet l’étude du passé de l’humanité.

Maintenant, en laissant même de côté le haut intérêt qui s’attache à l’homme, d’abord parce que nous sommes des hommes, et ensuite à cause de l’excellence et de la dignité de la nature humaine, en laissant de côté les questions morales et religieuses qui font de l’homme l’objet le plus élevé de la spéculation humaine, je le demande, quelle raison y aurait-il pour que les phénomènes par lesquels se manifeste l’humanité fussent moins dignes d’étude que ceux de la nature ? Et si le passé de notre globe est pour le géologue un légitime objet de recherches, pourquoi le passé de notre espèce ne le serait-il pas également ? Sans doute les changemens sont beaucoup plus rapides, plus éclatans, plus nombreux, et il est bien plus difficile de les