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d’un homme de guerre déchu, le général Burnside. Vous n’avez peut-être pas oublié qu’il y a deux ans (fin 1862), dans cette effroyable mêlée où généraux et armées fondaient comme la neige, parmi ces chefs malheureux qui se succédaient et se culbutaient sans relâche à la tête de l’armée du Potomac, Burnside parut un moment se maintenir au sommet de la roue. C’était après la sanglante bataille d’Antietam. Mac Clellan, qui venait de repousser à grand’peine Jackson et Lee du Maryland, restait immobile depuis sa victoire. Burnside prit le commandement, passa le Rappahannock, puis vint se briser sur Fredericksburg contre les retranchemens de Lee et de Longstreet. Il garde encore dans sa retraite, avec un dernier rayon de sa gloire éclipsée, la seule réputation qu’on ne puisse lui ravir, celle d’être un des plus beaux hommes d’Amérique. C’est un bel homme bien en chair, élégant en effet, quoique de massive encolure, avec de larges épaules, des joues pleines, de beaux yeux noirs caressans, bien cravaté, bien boutonné, mis avec recherche, et semblable de tout point à un beau colonel de horse-guards anglais. Ses allures sont étudiées, gracieuses, presque féminines : à dîner, où je le rencontre, il a une manière coquette de manier la cuillère et le couteau, qui fait valoir sa main potelée. Ce n’est pas là un général d’armée démocratique. Il figurerait mieux, ce me semble, sur le champ de manœuvre, et de parade que dans la rude et sauvage mêlée de la guerre américaine. — Je pourrais aussi vous montrer la moustache hérissée, la mine suffisante, l’air coupant et cassant du général Banks, ancien avocat, ancien speaker de la chambre des représentans et homme de guerre improvisé ; mais je veux d’abord vous parler du congrès et d’une curieuse, discussion qui montre assez bien le caractère américain sous son double aspect de brutalité impitoyable et de généreuse équanimité.

Vous savez sans doute avec quelle cruauté systématique ont été traités les prisonniers fédéraux chez les rebelles : famine, nudité, froidure, intempéries et mauvais traitemens de tous genres, fusillades au moindre prétexte, outrages enfin pires que les souffrances, on ne leur a rien épargné. On les a laissés croupir comme des pourceaux, sans vêtemens et sans abri, dans d’immondes cloaques où on les cantonnait à coups de fusil comme un troupeau de bêtes. Je crois que nul peuple moderne n’a montré jamais pareille barbarie. Ces atrocités ont donné lieu dans le nord à un sentiment bien naturel de colère et de vengeance. On a commencé l’an dernier à réduire aussi les rations des prisonniers rebelles, à leur refuser des couvertures, ou à ne leur en fournir qu’en échange de coton livré par le gouvernement confédéré, enfin à faire peser sur eux une inexorable discipline et à marquer parfois des victimes pour ces sacrifices