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revint après un voyage de 2,142 kilomètres parcourus en 70 jours, dont 10 passés sous la tente à cause du mauvais temps. On pourrait citer d’autres exemples, ceux-là sont suffisans. Sir Leopold Mac Clintock pense qu’un voyage de 2,800 kilomètres n’est pas au-dessus des forces d’hommes énergiques et résolus. Or, pour aller au pôle et en revenir, il n’y a que 1,692 kilomètres, distance moindre que celles parcourues par les voyageurs que nous avons cités. Kane a pénétré dans le Smith-Sound sur un petit brick à voiles ; il a passé deux hivers pris dans les glaces avec dix-sept hommes, des vivres médiocres et insuffisans, de la houille pour un an seulement, et cependant il a ramené son équipage sain et sauf. À cette époque, j’étais avec le capitaine Richards sous les ordres de sir Edward Bel cher dans le canal de Wellington ; Kellett et Mac Clintock se trouvaient dans le détroit de Barrow, Mac Clure avait pénétré dans le passage qui unit l’Océan-Pacifique à l’Atlantique. Collinson et Rae parcouraient les terres Victoria et Boothia-Felix, et Inglefield faisait une pointe dans l’île Melville. Il y avait donc au moins quatre cents marins anglais dans les mers arctiques ; leur santé fut toujours excellente, et la mortalité presque nulle, comparée à celle des campagnes dans les pays chauds et au nombre des matelots qui se noient tous les ans sur les côtes d’Angleterre. L’entreprise n’est donc point de celles qui doivent être rejetées comme téméraires par un gouvernement avare de la vie de ses marins.

« Voici maintenant le plan de campagne que je propose : deux petits bateaux à hélice, tels que l’Intrepid et le Pioneer, avec 120 hommes, officiers compris, seraient prêts au printemps de 1866. Ils partiraient pour la baie de Baffin et arriveraient au cap York en août. Un navire resterait au cap Isabelle par 78° 15’ de latitude avec 25 hommes d’équipage. L’autre navire, monté par 95 hommes, suivrait la côte occidentale et s’avancerait vers le cap Parry, en ayant soin de ne pas s’éloigner du premier navire d’une distance supérieure à 300 milles. Pendant l’automne, le navire du sud se relierait au navire du nord pour des dépôts de provisions, tandis que le navire du nord ferait la même opération sur le chemin du pôle. En 1867 et 1868, des expéditions avec des canots et des traîneaux seraient organisées aux époques les plus favorables, et en 1869 les équipages reviendraient soit avec le navire, soit dans des embarcations, si celui-ci était toujours prisonnier dans les glaces. Je ne crois pas que la mer libre que Morton a vue du haut du cap Constitution le soit toujours : ces espaces navigables sont des ouvertures dans la glace marine dues à l’action des montagnes de glace détachées des glaciers terrestres qui, entraînées par les courans et poussées par le vent, rompent la croûte dont la mer est couverte ; mais ces montagnes de glace elles-mêmes prouvent que la terre existe dans le nord, puisqu’elles proviennent de glaciers qui se forment dans les vallées ou plutôt qui sont les émissaires du glacier unique et général dont ces terres sont recouvertes. Kane a essuyé dans le détroit de Smith un hiver plus rude que nous à l’île Melville ; c’est une présomption pour croire que la terre de Grinnel, vue par Morton du cap Constitution, et celle de Washington dont il fait partie, s’étendent au loin vers le nord : ce sont des terres inconnues dont la géographie, le climat, les productions végétales et animales le sont également. Je croirais faire injure à la société, si je