Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 61.djvu/429

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

il retourne à son navire, toujours immobile et gelé dans la baie de l’Assistance. Il retrouve ses lieutenans Goodsir et Steward, qui, envoyés par lui le long des deux bords du canal, ont vu également une mer libre peuplée d’animaux. Avec deux charpentiers envoyés par sir John Ross, Penny fait construire un canot qui pouvait se monter sur un traîneau, et le 20 juin il était de nouveau à l’extrémité septentrionale du canal de Wellington, qui maintenant porte son nom. Mais combien l’aspect de la mer était changé ! elle n’était plus libre, de violens vents d’ouest poussaient d’énormes glaces flottantes dans le canal et menaçaient de l’obstruer totalement. Toutefois Penny s’avance de 310 milles ; il rencontre du bois flotté, aperçoit des animaux comme la première fois, mais il est forcé de revenir sans pouvoir, ainsi qu’il l’espérait peut-être, s’élever jusqu’au pôle. En 1853, sir Edward Belcher trouvait ces mêmes parages couverts d’une glace marine solide où il dut abandonner ses deux navires, l’Assistance et le Pioneer, après deux étés passés en tentatives infructueuses pour les dégager de l’étau de glace où ils étaient rivés. Ainsi donc la mer, au nord du détroit de Wellington, dégèle dans certaines saisons et dans certaines années, mais le plus souvent elle est emprisonnée sous sa carapace de glace. On sait encore, grâce à un parchemin trouvé le 6 mai 1859 dans une boîte de fer blanc enterrée sous un tas de pierres (cairn) à la pointe Victory, à l’ouest de l’île du Roi-Guillaume, qu’en 1845, l’année même de son départ d’Angleterre, Franklin avait remonté le canal de Wellington jusqu’au 77° degré de latitude, puis hiverné dans l’île Beechey, et qu’il était redescendu dans le sud jusqu’à la terre du Roi-Guillaume, où les navires furent abandonnés le 22 avril 1848. En 1845, la Mer-Polaire était donc navigable au nord du canal de Wellington.

Écoutons maintenant les récits des voyageurs qui se sont avancés au nord du détroit de Smith, le chemin le plus direct pour attaquer le pôle en partant de la baie de Baffin. Le docteur Elisah Kane, commandant le brick américain Advance, séjourna deux hivers dans le havre Renselaer, par 78° 40’. Personne n’avait hiverné au Groenland sous une latitude aussi septentrionale. La température moyenne du premier hiver, celui de 1853-1854, fut de — 40°, qui est le degré de congélation du mercure. Le 4 juin 1854, le stewart de Kane, M. Morton, partit avec un traîneau tiré par des chiens et un Groënlandais du village d’Etah, le plus septentrional du monde : ils longèrent d’abord l’immense glacier de Humboldt en marchant sur la mer gelée et en se frayant un passage au milieu des pointes et des aspérités qui la hérissaient. Au-delà du glacier, un chenal libre se montrait au milieu du détroit ; ayant contourné le cap Jackson, ils virent une prodigieuse quantité