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Nous avons cru devoir donner une idée de la part que nos compatriotes ont prise volontairement à ces grandes expéditions ; il nous reste à tracer brièvement l’esquisse de la géographie des terres arctiques de l’Amérique boréale, pour faire comprendre par quelle voie et par quels moyens les Anglais espèrent atteindre le pôle nord.

Quand on jette un coup d’œil sur une carte à projection planisphérique[1] ou polaire des régions arctiques, on voit au nord-ouest de la baie de Baffin un archipel de grandes îles et de vastes promontoires qui s’étend jusqu’à l’extrémité de la Mer-Glaciale voisine de la portion occidentale des côtes asiatiques de la Sibérie. Deux grands détroits, celui de Lancaster à l’est et celui de Behring à l’ouest, conduisent : le premier dans l’Océan-Atlantique, le second dans la Mer-Pacifique, et communiquent entre eux par un grand nombre de canaux sinueux qui enlacent les îles, contournent les promontoires, et viennent aboutir à trois passages qui s’ouvrent dans la Mer-Glaciale asiatique : ce sont les détroits de Banks, de l’Investigator, et celui du Dauphin et de l’Union. Deux autres larges canaux mettent la baie de Baffin en communication directe avec la Mer-Polaire, savoir : le détroit de Smith, qui va directement au nord, le détroit de Jones, peu connu, qui s’étend dans la direction du nord-ouest, et enfin le canal de Wellington, sensiblement parallèle à celui de Jones. A l’extrémité des détroits de Smith et de Wellington, on a vu la mer libre, navigable, remplie de baleines, de phoques, peuplée d’oiseaux aquatiques ; en un mot, tandis que les détroits de Wellington et de Smith étaient encombrés de glaces infranchissables pour des navires, la mer était ouverte dans le nord et peut-être jusqu’au pôle.

En 1850, le capitaine Penny part de la baie de l’Assistance, située à l’extrémité méridionale du canal de Wellington, et s’avance vers le nord, sur la mer gelée, avec des traîneaux attelés de chiens de Terre-Neuve. Arrivé le 16 mai à l’île Hamilton, la plus grande des îles du détroit, par 76° 2’, il découvre avec stupéfaction un canal libre au milieu des glaces : il plonge avec délices ses yeux dans les profondeurs de l’eau, qu’il n’avait pas vue depuis si longtemps. Deux morses jouaient sur le rivage, des eiders et d’autres oiseaux marins volaient de tous côtés dans une saison où ils n’apparaissent ordinairement que dix degrés plus au sud. Montant sur une éminence, Penny voit à perte de vue dans le ciel le reflet de l’eau. Oh for a boat ! — que n’ai-je un bateau ! — s’écrie-t-il avec désespoir. Il n’hésite pas, ses vivres et ceux des chiens tiraient à leur fin :

  1. Voyez la carte n° 10 de l’Atlas de Dufour.