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quand on contemple de loin et d’une certaine élévation une surface inégale et crevassée telle que celle d’un glacier : alors les irrégularités disparaissent, et la surface semble complètement unie. Parry n’a point réussi dans sa tentative, mais il s’est approché du pôle plus qu’aucun autre mortel, puisqu’il a presque atteint le 83e degré. Aussi croyons-nous devoir entrer dans quelques détails sur cette expédition, qui donnera une mesure de la vigueur et de l’énergie que l’homme peut déployer au milieu des circonstances les plus propres à abattre son courage.

Le 37 mars 1827, Parry sortait de la Tamise ; l’Hecla, qu’il commandait, était une corvette à voiles portant les deux embarcations Enterprize et Endeavour, longues de 7 mètres et pouvant contenir chacune quatorze hommes : c’est avec ces chaloupes qu’il comptait s’avancer sur la glace. Le 19 avril 1827, la corvette jetait l’ancre dans le port de Hammerfest. Parry se procura plusieurs de ces longs patins de bois avec lesquels les Lapons courent sur la neige pendant l’hiver. Le 29 avril, l’Hecla sortait du vaste golfe au fond duquel Hammerfest est situé et cinglait vers le nord. Le 5 mai, elle rencontra les premiers glaçons flottans, et le 7 elle en traversait un banc étendu ; mais plus loin la mer était libre et seulement couverte d’une mince couche de glace récente que la proue du navire brisait facilement. Depuis le départ de Hammerfest, le temps avait été sombre et neigeux, et le thermomètre se tenait entre — 7 et — 9 degrés centigrades ; le 12 mai, il marqua zéro. Des eiders et des guillemots s’approchaient du bâtiment, qui naviguait par le travers de l’île du Prince-Charles. Le 14 mai, l’Hecla passait devant la baie de la Madeleine et essuyait un violent coup de vent au milieu des glaçons flottans en vue de la pointe d’Hackluyt. Le 19 mai, le navire fut pris dans des glaces compactes et pressé par elles au point de courir de sérieux dangers, s’il avait été construit moins solidement. Trois jours après, quelques vides apparurent dans la banquise, mais le vent était si faible que le navire dut rester immobile. Cet état de choses se prolongea jusqu’au 3 juin malgré tous les efforts faits pour dégager le bâtiment en repoussant les masses qui l’assiégeaient. A minuit cependant la glace cessa tout à coup d’enserrer le navire aussi étroitement, et il dériva rapidement vers l’est sans pouvoir néanmoins s’approcher de terre. Du haut des mâts, on apercevait deux ou trois espaces libres de glaces au nord du Cap-Lointain (Verlegen hook). Cette vue fit renaître l’espérance ; mais Parry se désolait de voir le commencement de la belle saison déjà entamé avant qu’il eût mis le pied sur la grande banquise. Un étroit chenal s’était ouvert dans les glaces, Parry gagna la terre dans une embarcation, aborda dans la Baie Demi-Lune (Half-Moon or Mussel bay), et reconnut qu’il ne pourrait y abriter son navire ;