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soutènement des terrasses, sont longs comme cinq hommes. À peine dégrossis, rugueux, noirâtres, ils gardent leur barbarie originelle. Tel serait un mont arraché de sa base, dépecé en assises et empilé sur un nouvel emplacement par des mains cyclopéennes. Nul ornement dans la façade ; seule, une longue balustrade court au sommet, découpant l’azur immobile. De colossales arcades rondes soutiennent les fenêtres, et chacune de leurs vertèbres fait saillie avec ses irrégularités primitives comme l’ossature d’un vieux géant.

Au dedans, une cour carrée, semblable à celle du palais Farnèse, s’encadre entre quatre massifs d’architecture aussi austères et aussi grands que les dehors. L’ornement là aussi manque, et manque de parti-pris : pour toute décoration, un revêtement de colonnes doriennes, sur celles-ci des colonnes ioniennes, sur elles des colonnes corinthiennes ; mais ces piles de blocs ronds, entassés les uns sur les autres ou alternés de blocs carrés, égalent par la force de leurs masses et par l’âpreté de leurs angles la rudesse et l’énergie du reste. La pierre seule règne ici ; l’œil ne cherche rien par-delà la variété de ses reliefs et la fermeté de son assiette. Il semble qu’elle subsiste par elle-même et se suffit à elle-même, que l’art et la volonté de l’homme ne sont point intervenus, que la fantaisie n’a point de place. Au rez-de-chaussée, les piliers doriens trapus, résistans, portent des arcades qui font promenoir, et chaque courbe hérissant ses bossages semble l’emmanchement d’une échine antédiluvienne. Une teinte brune, pareille à celle des pics lézardés par les siècles, assombrit des pieds au sommet la monstrueuse structure et couvre jusqu’au dallage rayé, rude, qui revêt le sol autour de cet amoncellement de pierres.

Un commerçant florentin a élevé cette masse au XVe siècle et s’y est ruiné. Brunelleschi a fait le plan, et, par une chance heureuse, ses successeurs, qui ont achevé l’édifice, n’en ont point amolli le caractère. Si quelque chose peut donner une idée de la grandeur, de la sévérité, de l’audace d’esprit léguées par le moyen âge aux citoyens libres de la renaissance, c’est une pareille demeure construite par un particulier pour lui-même et le contraste de la magnificence intérieure avec la simplicité du dehors. Les Médicis, devenus princes absolus, l’ont achetée au XVIe siècle et l’ont décorée en princes. Cinq cents tableaux la remplissent, tous choisis entre les meilleurs, et plusieurs parmi les chefs-d’œuvre. Ils ne forment point un musée disposé par écoles ou par siècles, comme dans nos grandes collections modernes, pour servir à l’étude ou à l’histoire et fournir des documens à une démocratie qui reconnaît la science comme son guide et l’instruction comme son soutien. Ils ornent les salons d’un palais royal où le prince reçoit ses courtisans et étale son luxe par