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s’éveillent vaguement dans cette monotonie, et le rêve tendre, comme une rose abritée contre les brutalités de la vie, s’épanouit loin de la grande route où se heurtent les pas humains. Alors se déploie devant le regard la magnificence du jour éternel, et désormais tout l’effort du peintre s’emploie à l’exprimer. Des escaliers de jaspe et d’améthyste étagent leurs dalles luisantes jusqu’au trône où siègent les personnages célestes. Des auréoles d’or luisent sur leurs têtes ; leurs robes rouges, azurées, vertes, frangées d’or, cerclées d’or, rayées d’or, scintillent comme des gloires. L’or rampe en filets sur les baldaquins, s’amoncelle en broderies sur les chapes, étoile les tuniques, fleuronne les diadèmes, et les topazes, les rubis, les diamans constellent de leurs flammes l’orfèvrerie des couronnes[1]. Tout est lumière ; c’est l’épanchement de l’illumination mystique ; par cette prodigalité de l’or et de l’azur, une seule teinte domine, celle du soleil et du ciel. Ce n’est point là le jour ordinaire, il est trop éclatant, il éteint les couleurs les plus vives, il enveloppe les corps de toutes parts, il les efface et les réduit à n’être plus que des ombres. En effet, ce sont des âmes ; la pesante matière a été transfigurée, son relief n’est plus sensible, sa substance s’est évaporée ; il ne reste d’elle qu’une forme éthérée qui nage dans la splendeur et dans l’azur. — D’autres fois, les bienheureux approchent du paradis[2] parmi de riches gazons parsemés de fleurs rouges et blanches, sous de beaux arbres fleuris ; les anges les conduisent, et fraternellement, la main dans la main, ils forment une ronde ; le poids de la chair ne les opprime plus ; la tête étoilée de rayons, ils glissent dans l’air jusqu’à la porte flamboyante d’où jaillit une gerbe d’or ; tout en haut, le Christ, dans une triple rose d’anges serrés comme des fleurs, leur sourit sous son auréole. Ce sont les délices et les rayonnemens qu’a racontés Dante.

Les personnages sont dignes du lieu. Quoique belle et idéale, la figure du Christ, même dans les triomphes célestes, est pâle, pensive, légèrement creusée ; c’est l’ami éternel, le consolateur un peu triste de l’Imitation, le poétique et miséricordieux Seigneur que rêve le cœur douloureusement tendre : ce n’est pas le corps trop bien portant des peintres de la renaissance. Ses longs cheveux bouclés, sa barbe blonde encadrent doucement son visage ; parfois il sourit faiblement, et sa gravité ne va jamais sans une bonté affectueuse. Au jour du jugement, il ne maudit point ; seulement du côté des damnés sa main se baisse, et c’est vers la droite,

  1. Couronnement de la Vierge, musée du Louvre. Douze anges autour de l’enfant Jésus, Uffizi.
  2. Jugement Dernier, Académie des Beaux-Arts à Florence.