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fait impossibles. Nous en avons un redoutable exemple dans le sort de l’empereur Nicolas et dans les désappointemens terribles que la question d’Orient a donnés à ce potentat. La première infortune de l’empereur Nicolas fut de faire passer les susceptibilités d’un faux amour-propre avant les intérêts pratiques de la politique positive ; son plus grand malheur fut d’être perpétuellement trompé par l’optimisme complaisant de sa diplomatie et de ses amis politiques d’Europe. De toutes parts on lui faisait dire que rien de ce qui devait effectivement arriver n’avait chance de se produire. On lui faisait croire qu’une alliance militaire et maritime entre la France et l’Angleterre était une conception monstrueuse et irréalisable ; on lui faisait croire que jamais l’Autriche n’oserait lui opposer une abstention hostile. Puis, lorsqu’il dut commencer à s’apercevoir qu’il s’était trompé sur la nature essentielle et nécessaire des choses, son inflexible, vanité ne put se résoudre à capituler. Il ne demandait qu’un mot pour consoler son amour-propre et couvrir sa retraite ; ce mot à peine intelligible pour les initiés, la conférence de Vienne le lui refusa. Nicolas est tombé victime de la conspiration dont l’orgueil autocratique est naturellement enveloppé par la courtisanerie.

Si nous rappelons cette grande leçon d’hier, c’est que nous avons la confiance qu’elle est encore vivante dans la conscience des contemporains. Cette leçon nous apprend à nous défier de l’amusement du babil diplomatique et de l’affectation des sentences oraculaires et dilatoires dans les affaires qui peuvent mettre aux prises les intérêts et l’honneur de deux grands états. Il n’y a point de temps a perdre quand on est engagé dans de telles affaires : il faut tourner le dos au hasard, dieu des paresseux ; il faut aller tout de suite au fond des choses, mesurer le possible et le nécessaire, prendre vite son parti, et, comme on dit vulgairement, avoir à temps, le courage de se couper un bras. Si donc, à l’endroit des États-Unis nous n’avons rien à sacrifier des vrais intérêts de. la France, il faut nous garder de toute illusion sur les intérêts et le caractère nécessaire de la grande république américaine. Le nouveau ministre des États-Unis à Paris, M. Bigelow, dans la réunion des Américains qui a eu lieu au commencement de ce mois à l’occasion du thanksgiving national, citait un mot fort juste de M. Drouyn de Lhuys. La première fois que le ministre américain aborda notre ministre des affaires étrangères, il lui avoua son inexpérience dans l’art de la diplomatie. M. Drouyn de Lhuys lui répondit qu’on était toujours assez bon diplomate quand on avait la bonne foi et l’équité de se rendre compte de la situation où sont placés ceux avec qui l’on négocie. Il n’est point de meilleure maxime, et nous en devons faire l’application au gouvernement américain. Nous devons avoir avant tout la bonne foi de reconnaître que. les Américains n’ont point été payés pour regarder d’un œil favorable l’origine et le but proclamé de notre expédition mexicaine. D’abord, sans la guerre civile qui semblait