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cependant des relevés faits aux États-Unis, où certains états arrivent, nous l’avons vu, au rapport de 1 élève sur 3 habitans. Toutefois, quand on se rappelle le niveau inférieur d’où le Bas-Canada est parti, quand on songe à tous les obstacles que la nature du pays oppose à la fréquentation régulière des écoles, on s’étonne presque des résultats obtenus en si peu de temps, et l’on admire l’activité et la persévérance qu’il a fallu déployer pour les réaliser.

Que l’on compare maintenant les institutions scolaires de l’Angleterre avec celles du Bas-Canada, et nul exemple ne démontrera d’une manière plus décisive la nécessité de l’intervention de l’état en matière d’enseignement. Voyez l’Angleterre : c’est sans contredit le pays le plus riche du monde. Le capital y abonde et s’y accumule pour se déverser sur l’univers entier ; chaque année, l’épargne de la nation met à la disposition d’entreprises de tout genre la somme inouïe de 2 à 3 milliards de francs. Ce n’est donc point l’argent qui manque. La population est très dense, condition très favorable à la fondation et à la fréquentation régulière des écoles ; la bienfaisance privée ne se lasse point de donner, et les sectes rivales s’efforcent d’attirer ces libéralités inépuisables vers l’instruction. Cependant l’Angleterre n’est point parvenue à instruire ses vaillantes populations. Considérez d’autre part le Bas-Canada, ces cent mille arpens de neige dont parlait Voltaire. Le climat est très rude. Quoiqu’il n’y ait de misère nulle part, le pays est relativement pauvre, et le capital manque partout. La population est disséminée en petits groupes, en familles même, éparpillés sur un vaste territoire. La race française, honnête, intelligente, mais dont l’inertie a été longtemps entretenue par les institutions féodales et par une soumission passive au clergé, est loin d’avoir ce ressort, cette fièvre qui pousse sans cesse en avant la race anglo-saxonne. Et pourtant, malgré tous ces désavantages, le Bas-Canada a établi un système d’enseignement primaire dont l’opulente Angleterre envie l’évidente supériorité. Si la colonie pauvre et peu active a réussi dans l’œuvre où a échoué la métropole riche et entreprenante, c’est que l’une a repoussé et que l’autre a admis le principe essentiel de l’intervention de l’état ; c’est que celle-ci a adopté l’école communale soutenue par l’impôt et une organisation uniforme pour tout le pays imposée par la loi, et que celle-là, jusqu’à présent, n’en a pas voulu. Au XVIIIe siècle, l’Angleterre a été dépassée sous le rapport de l’instruction populaire par l’Ecosse ; au XIXe elle l’est déjà par l’Australie et le Canada.

En présence de tous les faits que nous venons de résumer, à moins de soutenir que dans les sciences politiques l’expérience ne prouve rien, il faudra bien admettre, semble-t-il, que sans