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I

M. Guizot a résumé en quelques mots décisifs l’expérience du passé à ce sujet : « Jamais, dit-il, dans un grand pays, un grand changement, une amélioration considérable dans le système de l’éducation nationale n’a été l’œuvre de l’industrie particulière. Il y faut un détachement de tout intérêt personnel, une élévation de vues, un ensemble, une permanence d’action qu’elle ne saurait atteindre. » Rien n’est plus vrai, et la nécessité de l’intervention de l’état n’est pas près de finir. Tant qu’il y aura d’un côté des hommes assez grossiers pour ne désirer l’instruction ni pour eux ni pour leurs enfans, et de l’autre des hommes qui croient avoir intérêt à prolonger l’ignorance pour cacher les abus dont ils vivent, les efforts des particuliers seront absolument insuffisans. — Mais, disent les représentans des églises établies en France, en Angleterre, en Italie et partout, ce que ne peuvent faire les individus, nous le ferons. Nous constituons des corps puissans et durables ; notre influence sur le peuple est grande, et les ressources dont nous disposons sont en proportion. Nous avons la permanence, l’élévation des vues, le détachement de l’intérêt individuel. Nos doctrines sont consacrées par la vénération séculaire des nations ; nous leur apportons à la fois les connaissances profanes et l’instruction religieuse, des lumières pour faire son chemin en ce monde et son salut dans l’autre. Notre enseignement est une garantie contre l’immoralité et les révolutions : formés par nous, les hommes sont plus vertueux et plus dociles ; les gouverner devient facile, et leur bonheur est assuré. Avec la non-intervention de l’état et la liberté, l’instruction sera mise à la portée de tous ; ce sera notre œuvre, nous en répondons.

A propos de ces discours sans cesse répétés, nous ne ferons pas ici le procès aux églises établies, nous ne leur demanderons pas si, en invoquant aujourd’hui la liberté, elles n’ont pas pour but de préparer les âmes à subir leur despotisme. Il s’agit seulement de voir si en effet, en l’absence de l’intervention des pouvoirs publics, elles ont réussi à organiser pour le peuple des moyens d’instruction suffisans et à l’éclairer.

Autrefois ce régime de non-intervention qu’on nous vante aujourd’hui était en vigueur : l’état ne s’occupait point de l’enseignement du peuple par la raison très simple qu’il croyait inutile et même dangereux de l’instruire, non sans motif peut-être. L’église était seule chargée de dissiper les ténèbres épaisses qui pesaient sur la classe inférieure. Or pour y parvenir qu’a-t-elle fait ? Dans