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difficile que dans les monarchies : un ministre, au lieu de se retirer comme en Angleterre devant la première rafale, reçoit plusieurs bordées en pleine poitrine avant de s’avouer vaincu. Un jour pourtant arrive où sous les coups répétés des votes contraires il faut obéir ou battre en retraite ; c’est ce que ferait M. Seward le jour où ses ennemis auraient résolu d’en finir avec lui et où le président leur dirait sous le rideau d’ouvrir leurs batteries. Il n’est pas dit que l’honnête Abe doive être maladroit parce qu’il est honnête. Sa politique est une girouette intelligente et prévoyante des vents futurs, qui, sans les suivre ni les devancer, se trouve toujours d’accord avec eux.

La chambre des représentans vient en apparence de lui infliger un blâme en votant avec bruit la confirmation de la doctrine Monroë ; mais en réalité le blâme n’atteint que M. Seward. Quand M. Winter Davis donna lecture de la résolution qu’il soumettait à la chambre, et qui portait qu’en règle générale la politique extérieure du président devait être rigoureusement subordonnée aux vœux émis par le congrès, on a pu remarquer le changement significatif du mot président en celui de département exécutif. Enfin la politique des chambres entraîne de plus en plus le président au radicalisme. Elle ne peut en revanche que déplaire, je ne dis pas au tiède libéralisme, mais à la modération naturelle du secrétaire d’état. Quand le sénateur Wilson fait ajouter à la résolution d’enquête sur l’arrestation et la disparition arbitraires du lieutenant gouverneur du Kentucky Jacobs cette restriction qui l’annule implicitement, « pourvu que l’enquête soit compatible avec l’intérêt public, » M. Seward applaudit sans doute à un tour de sa façon ; mais quand l’attention du sénat est appelée sur la loyauté douteuse d’un grand nombre des employés du gouvernement de Washington, et qu’un vote de cette assemblée, imposant le serment de fidélité (oath pf allegiance) à tous les habitans du district de Colombie sans exception, interdit de faire le commerce à quiconque ne l’aura pas prêté, le débonnaire ministre d’état, qui, tout en se permettant, dit-on, l’arbitraire à petites doses et à huis clos, n’aime pas ces mesures générales et éclatantes d’autorité révolutionnaire, doit mordre ses lèvres avec un sourire de pitié. M. Seward n’aime en fait d’arbitraire que le pouvoir à petit bruit, le gouvernement discret des cabinets et des bureaux de police, où les paroles compromettantes se chuchotent sous le manteau de la cheminée, tandis que la protestation des victimes s’éteint derrière la porte murée. Les radicaux au contraire sont des bûcherons et des bouchers politiques qui hachent l’arbre à sa racine et frappent l’ennemi à la tête sans se soucier du fracas de sa chute.