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vantée aujourd’hui comme une des conquêtes et un des bienfaits de la guerre[1].

Les meilleures banques résistent encore, et préfèrent leur solidité modeste au brillant patronage de l’état. Elles ne veulent pas devenir des machines à battre monnaie et des succursales du trésor de Washington. Les autres, après avoir distribué à leurs actionnaires un dividende en or, reliquat de leur ancienne réserve, peuvent encore élever nominalement la réserve de papier qui la remplace et développer d’autant leur émission. Elles aident le trésor a écouler ses emprunts en lui achetant des titres qu’elles transforment en monnaie courante. Ce sont de nouvelles planches aux assignats pour épargner la planche un peu usée de Washington.

Voilà une mesure centralisatrice au premier chef. Elle tend à substituer au crédit des entreprises privées un crédit unique, celui de l’état. J’avoue que la régularité est un mérite ; mais il faut savoir ce qu’elle déguise et à quel prix on l’achète. Nul n’en peut contester sincèrement l’utilité présente : en face du danger, tous les moyens sont bons pour trouver de l’argent. Toujours est-il que cette immense émission d’un nouveau papier-monnaie, cette augmentation de la responsabilité publique, cette unité financière qui attache si étroitement la fortune nationale à la gestion du trésor public, qui fait qu’avec l’état tout s’écroule et que l’Amérique perd cette vitalité privée qui était sa force et sa gloire, tout cela, dis-je, paraît dangereux et révolutionnaire aux démocrates, et inquiète même beaucoup de républicains. La prospérité des États-Unis a pu être, elle est encore aujourd’hui indépendante du gouvernement. Avant peu d’années, elle en sera devenue inséparable, et les embarras du trésor public deviendront la souffrance du pays.

On répond que les intérêts sont le nœud du patriotisme, et que l’unité nationale, le sentiment de l’honneur public, l’autorité des engagemens pris au nom de l’état, grandiront à mesure qu’une part plus grande de chaque existence sera enveloppée dans ses destinées. Sans voir autre chose qu’un vain charlatanisme dans l’assertion fréquente que le peuple américain, s’empruntant à lui-même les milliards qu’il dépense, ne peut ni s’endetter ni s’appauvrir, il faut reconnaître que l’honnêteté publique s’assure en devenant un intérêt universel. Si les emprunts des États-Unis avaient été faits à l’étranger, je craindrais que le lendemain de la guerre le périple ne fût tenté de répudier la dette. C’est parce que l’emprunt est national que la banqueroute devient plus difficile à mesure que la dette s’enracine davantage. Dans les grandes villes, il est peu d’ouvriers,

  1. Le nombre des banques nationales s’est énormément accru depuis l’année dernière. On n’en compte pas moins de 1,600 aujourd’hui, et la réforme de M. Chase est désormais un fait accompli.