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annonce que la forme ou plutôt l’orientation de l’orbite de Mercure subit des changemens séculaires qui resteraient sans explication, à moins d’admettre l’action de masses troublantes qui circulent entre Mercure et le soleil. Ces masses pourraient, ou être concentrées en une seule planète, ou former un essaim de corpuscules disséminés sur toute la circonférence de l’anneau ; cette dernière supposition serait même la plus probable, parce qu’elle nous expliquerait, par la petitesse même de ces corps, leur apparente invisibilité. « L’hypothèse à laquelle nous nous trouvons ainsi ramené, dit M. Le Verrier, n’a plus rien d’excessif. Un groupe d’astéroïdes se trouve entre Mars et Jupiter, et sans doute on n’a pu en signaler que les principaux individus. Il y a lieu de croire même que l’espace planétaire contient de très petits corps en nombre illimité circulant autour du soleil. Pour la région qui avoisine l’orbite de la Terre, cela est certain. » Ainsi M. Le Verrier pose résolument l’existence de planètes intra-mercurielles.

De telles planètes, s’il y en a, doivent rester toujours inaperçues dans les circonstances ordinaires. La planète Mercure, dont la distance au soleil est environ le tiers de la distance moyenne de la terre au même astre, en est déjà trop voisine pour qu’il soit facile de l’observer. Noyée la plupart du temps dans les feux de l’astre radieux, nous ne pouvons la voir à l’œil nu qu’aux momens où le soleil est caché par un écran naturel, par exemple lorsqu’il se trouve à une faible profondeur au-dessous de l’horizon, ou bien lorsqu’il est éclipsé par la lune. Et encore, pour que nous puissions voir la planète à la pointe du jour, est-il nécessaire qu’elle précède le soleil ; de même elle doit le suivre pour se montrer dans le crépuscule du soir. D’un autre côté, l’horizon est souvent brumeux, et l’on comprend dès lors que les occasions d’observer Mercure sont assez rares, si rares que le grand Copernic laissa échapper un jour cette remarque chagrine : qu’il descendrait dans la tombe avant d’avoir jamais vu la planète. Aujourd’hui, grâce aux progrès qui ont été réalisés dans la construction des lunettes, la difficulté qui affligeait si fort l’illustre chanoine de Thorn a été vaincue en partie ; nous observons Mercure au grand jour, à côté du soleil, surtout lorsqu’il est placé de manière à pouvoir être vu de profil, c’est-à-dire lorsqu’il nous montre seulement la moitié de son hémisphère éclairé, absolument comme la lune dans son premier ou dans son dernier quartier. Dans cette position, la planète nous paraît plus éloignée du soleil que lorsqu’elle est éclairée en plein, ou qu’elle se réduit à un mince croissant en tournant vers la terre sa face obscure. Quand elle est dans son plein, elle passe en arrière du soleil ; quand elle s’évanouit, elle passe en avant ; mais aux époques de ses quartiers (des quadratures) elle se trouve placée latéralement : c’est donc alors qu’elle semble le plus se séparer du soleil et qu’elle souffre le moins de son voisinage.

Mais, s’il s’agissait de planètes beaucoup plus voisines du soleil que Mercure, il faudrait renoncer à l’espoir de les observer de profil ou de face, c’est-à-dire éclairées à demi ou en plein, à moins de guetter pour cette