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de Lisbonne, expia lui aussi la hardiesse de ses discours. Des religieux furent poursuivis, chassés du pays ou emprisonnés ; d’autres, tels que le gouverneur de Fayal, subirent d’atroces supplices. Personne n’était à l’abri du soupçon, et chaque jour faisait de nouvelles victimes.

Ceux qui s’étaient laissé séduire d’abord par l’idée de l’union, qui avaient cru aux avantages de la fusion des deux pays et avaient été les partisans de l’Espagne, commencèrent bientôt à voir qu’ils s’étaient trompés, qu’il n’y avait de vrai que la prostration et l’abaissement sous le joug le plus dur. Le duc de Bragance lui-même, qui, pour ne pas s’allier au prieur de Crato, s’était hâté de faire sa soumission, et à qui Philippe II avait passé au cou la Toison-d’Or en le décorant de la dignité illusoire de connétable de Portugal, le duc de Bragance ne tarda point à se sentir diminué et froissé. La duchesse sa femme, qui était petite-fille de roi et qui avait aspiré à une couronne qu’elle eût si bien portée, la fière Catherine de Bragance se débattait vainement pour garder la supériorité de son rang vis-à-vis du duc d’Albe. Le vieux capitaine, qui savait se mettre à l’aise, en riait de son rire hautain avec Philippe II. « Comment t’a-t-elle traité ? disait le roi à son généralissime. — Le mieux du monde, répliquait le duc d’Albe. — Elle t’a donné de la seigneurie ? — Mieux, sire. — De l’excellence ? — Mieux encore. — De l’altesse alors ? — Bien mieux que tout cela ; elle m’a dit tout le temps : Jésus ! » Le fait est que la pauvre duchesse, voulant concilier sa crainte et son amour-propre, s’était ingéniée en tours de langage pour éviter de donner une qualification à son terrible interlocuteur, et elle avait cru se sauver par cette exclamation tout impersonnelle. Tout n’était pas puérilité d’étiquette, et les Bragance ne sentaient point seuls l’humiliation croissante. Ils en étaient déjà tous à se repentir de leur adhésion et à s’apercevoir que l’union, c’était la servitude sans compensation, mais non pas sans péril. Le mot de l’annexion, il est dans un vieux petit livre, — Histoire de dom Antoine, roy de Portugal, — écrit en plein XVIIe siècle par une dame française qui ne se doutait pas qu’en parlant de Philippe II elle résumait d’un trait le caractère de toutes ces entreprises. « Il ne laissa, dit-elle, en Portugal pas un homme de tête ni de courage, afin de n’être point troublé dans la possession de ce royaume. Après que Philippe eut satisfait pleinement sa vengeance, il déchargea le peuple de quelques impôts… » Le système est là tout entier, et il n’a pas vieilli.

Ce qui restait après tout de l’indépendance portugaise, c’était ce roi qui avait été si peu roi, et qui ne reste pas moins, dans ce lointain du XVIe siècle, le précurseur de tous les bannis des trônes, le chef de la famille des princes errans. Cent soixante-six ans avant