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comme la pantomime, est un art, un très grand art. Il y faut pour réussir de la vocation, beaucoup d’étude, sans quoi le rhythme manque, l’effort n’est que grimace et sauterie, et fussiez-vous la Diane en personne, tous vos airs de visage, vos mouvemens de bras, vos ronds de jambes et vos taquetés produisent sur le spectateur qui s’y connaît l’effet discordant et fâcheux d’une belle voix qui ne sait ni poser le son ni faire une gamme. Certaines gens toujours pressés de marier le Grand-Turc avec la république de Venise ont raconté que le prince Metternich avait pris une part quelconque à la composition de la musique du Roi d’Yvetot. C’est là une évidente calomnie qu’on ne saurait trop haut démentir, attendu que si le prince Metternich se mêlait de composer de la musique, il en écrirait assurément de moins mauvaise. La nationalité seule qu’il représente parmi nous suffirait pour l’y obliger. Les grands seigneurs de son pays ont de tout temps trop vécu dans la familiarité des plus illustres maîtres pour se complaire à ces enfantillages d’amateur. Quand ils touchent à la musique, c’est par ses grands côtés. Qui dit Haydn dit presque Esterhazy ; les noms des archiducs Rodolphe et Charles, des Lobkowitz, des Kinsky, des Liechtenstein, s’enguirlandent partout en Autriche avec les noms immortels des Mozart et des Beethoven. « Comme je passais vers midi sous ses fenêtres, j’entendis préluder sur le piano : c’était l’archiduc qui employait ses momens de loisir à méditer. » Ainsi parle Varnhagen de l’archiduc Charles. Au lendemain d’Essling, à quelques heures peut-être de Wagram, quelle musique pouvait donc improviser sur son piano de campagne le prince généralissime ? L’historien de cette vie austère, pleine d’héroïsme et de recueillement, Varnhagen ne le dit pas ; mais on peut conjecturer sans paradoxe que ce n’étaient ni des polkas, ni des redowas, ni des schottisch.

Autre ballet, ce Dieu et la Bayadère, autre chanson ; mais cette fois la chanson est de Goethe et la musique de M. Auber. On sait ce que nous pensons de l’orientalisme de cette partition. Nous nous sommes suffisamment expliqué à ce sujet dans notre étude sur l’Africaine pour n’avoir pas besoin d’y revenir. C’est de la fantaisie française très spirituelle, de la couleur locale dans le goût du XVIIIe siècle, vous croiriez par momens lire un chapitre des Lettres persanes. Partout l’allusion, le trait piquant aux mœurs contemporaines ; tandis que la pompe du spectacle, le pittoresque du décor et des costumes cherchent à vous persuader que vous êtes sur les bords du Gange, l’orchestre et les voix vous chuchotent à l’oreille mille badinages parisiens, mille épigrammes à l’adresse du moment. Ce Brahma qu’on évoque est un dieu sceptique, un ténor philosophe qui chante sa divinité sans y croire ; cet Olifour, un juge des Plaideurs.

Tous ces mignons chefs-d’œuvre du passé, quand on les veut reprendre de nos jours, n’ont plus d’attrait. Au lendemain de l’Africaine ou des Huguenots, ce joli papotage de douairière rêvant dans son fauteuil Indes galantes vous paraît suranné, chevrotant. Ce genre même d’opéra-ballet, que