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d’une simple constatation d’identité pour priver un étranger des garanties de la loi anglaise et le livrer sans autre forme de procès aux mains de son gouvernement. Pourquoi, disait-on, renoncer à ce principe qu’un étranger ne doit être livré que sur les mêmes indices qui motiveraient son renvoi par le juge en cour d’assises (committing him for trial), et pourquoi ce système ne fonctionnerait-il pas aussi bien entre la France et l’Angleterre qu’entre le Canada et les États-Unis, qui, étant limitrophes, l’appliquent tous les jours et s’en contentent ? Si le gouvernement français répugne à envoyer des témoins, comme nous le faisons nous-mêmes aux États-Unis, quelle difficultés éprouve-t-il à envoyer des dépositions certifiées, des élémens authentiques d’information de nature à établir un prima facie case à la charge du Français réclamé ? S’il craint une mise en liberté trop prompte de l’accusé faute de preuves, nous modifierons volontiers la loi en donnant au juge plus de latitude, pour surseoir à décider en attendant la production de ces preuves (powers to remand for évidence) ; quant à supprimer l’instruction même pour la remplacer par une simple constatation d’identité, c’est impossible.

C’est principalement sur l’article 7, destiné à prévenir la mise en jugement du Français réclamé pour un délit politique antérieur, que porta la discussion, et c’est ce même article qui fournit aux adversaires de la convention le moyen de la faire d’abord ajourner par la chambre. Lord Campbell avait déjà fait observer qu’on ne peut enlever par traité à aucun gouvernement la facilité de poursuivre des délits politiques sous le nom des délits communs qui s’y trouvent ordinairement mêlés. Un chef d’insurgés peut avoir arrêté la malle, forcé une maison, tué un adversaire les armes à la main, et l’on avait vu récemment au Canada un esclave fugitif réclamé par les États-Unis aux termes du traité d’extradition pour vol, parce qu’il avait enlevé le cheval nécessaire à sa fuite[1]. Comment se rendre compte de la nature véritable des actes incriminés, si pour l’extradition un mandat d’arrêt doit suffire ? Lord Malmesbury crut alors relever la valeur des garanties contenues dans l’article 7 en déclarant que c’était une concession importante du gouvernement français, et qu’on ne l’avait pas obtenue sans peine. Le gouvernement français, poursuivit le noble lord, a en effet exprimé

  1. Nous connaissons un fait curieux qui montre que les gouvernemens les plus honnêtes peuvent n’être pas à l’abri de la tentation de poursuivre sous le nom de délits communs des délits purement politiques. Un honorable habitant du Var, M. Jourdan, qui fut après 1830 préfet de la Corse, avait pris parti pour Napoléon, en 1815, dès le débarquement de l’Ile d’Elbe. Il s’empara de quelques fusils rouillés dans la mairie de Saint-Raphaël et abattit le drapeau blanc arboré sur l’église. Il fut, au retour des Bourbons, traduit devant la cour d’assises du Var sous l’accusation suivante : vols commis à main armée dans la mairie et dans l’église de Saint-Raphaël.