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avantages. Le duc d’Albe, qui s’était avancé prenant successivement les forts de Cascaes, de Saint-Julien, d’Oeiras, de Belem, avait bien vite saisi les avantages de cette dernière position, où l’attendait le prieur de Crato ; mais il avait vu aussi d’un coup d’œil ce qu’il y avait de vulnérable dans ces fortifications improvisées, inachevées et surtout mal liées, et il prit son parti.

Le matin du 25 août 1580, après une nuit passée à tenir en alerte, à fatiguer son ennemi, le vieux capitaine quitta son quartier-général suivi d’un brillant cortège d’officiers et alla se placer au centre de son armée. Il s’assit tranquillement à un poste d’où il pouvait embrasser le champ de bataille et il lança ses bandes, — Fernando de Tolède remontant la rivière avec ses cavaliers pour tourner les Portugais, et les Italiens de Colonna attaquant de front le pont d’Alcantara. Il faut tout dire : les Portugais soutinrent le premier choc, et ce fut même un carme déchaussé, Estevão Pinheiro, ardent partisan du prieur de Crato et de l’indépendance, qui l’épée à la main eut le singulier honneur de faire reculer pendant quelques minutes les terribles assaillans. Les Portugais se battirent plus d’une demi-heure, et dans cette demi-heure ils perdirent un millier d’hommes. C’était beaucoup pour ces conscrits. Dom Antonio, qui n’était ni un politique ni un général, se battit en soldat, corps à corps, se jetant au plus épais de la mêlée et enflammant les siens. Un instant il fut sur le point d’être pris ; il avait été blessé au visage et à la gorge par un garde-côte de Grenade qui ne le connaissait pas, et il se battait encore que déjà son armée débandée, frappée de terreur, jetant ses armes, fuyait par tous les chemins. Il fit ce qu’il put pour arrêter la déroute, et, voyant tous ses efforts inutiles, il se sauva lui-même, traversant Lisbonne comme un éclair sans se reposer un moment. Il ne s’arrêta qu’à Santo-Antonio de Tojal, puis à Santarem, pour se réparer, se remettre et voir clair dans sa situation. Lisbonne pendant ce temps se hâtait d’aller porter ses clés au vainqueur, qui, malgré les ordres les plus sévères, ne put la préserver complètement du pillage.

Ce ne fut pas, il est vrai, la fin de la lutte. L’évêque de Guarda, le comte Vimioso, ceux des partisans de l’indépendance qui avaient échappé au désastre d’Alcantara se répandirent dans le pays, partout où ils avaient de l’influence, pour essayer de réchauffer l’ardeur populaire et de lever de nouveaux soldats. Dom Antonio lui-même, réfugié d’abord à Santarem, ne cédait que lentement devant les Espagnols de Sancho de Avila lancés à sa poursuite, se repliant de Coimbre sur Aveiro, d’Aveiro à Porto. Là il eut encore une dernière illusion, une dernière chance. Dom Antonio retrouva un moment dans le peuple de Porto un éclair de l’enthousiasme qui avait