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Au printemps de 1864, les premières tribus que les Russes rencontrèrent, alliées ou protégées des Abadzekhs, furent débusquées successivement et presque sans combat des hauteurs qu’elles habitaient, et le choix leur fut laissé de passer en Turquie ou d’aller se fixer derrière les lignes russes. Les Beslenéi optèrent pour l’émigration, les Kabardiens libres et les Temirgoï allèrent s’établir comme colons en face de la ligne de la Laba ; les Barakaïs, les Bagdos et d’autres tribus abazes furent rejetés sur le versant méridional de la grande chaîne.

Dans l’automne de 1861, l’empereur Alexandre II fit un voyage au Caucase pour s’assurer par lui-même du véritable état de choses dans la province du Kouban ; il reculait devant les difficultés que soulevait l’exécution d’une mesure aussi rigoureuse que celle de l’expulsion en masse de toute une population hors de ses foyers. La nouvelle de l’arrivée du monarque se répandit avec la rapidité de l’éclair parmi les tribus hostiles ou soumises, et toutes se hâtèrent de lui envoyer des députations, qui furent reçues au camp de Kamkheta. Les bases de l’accommodement proposé aux montagnards furent la conservation de leurs privilèges et de leurs coutumes, l’exemption de tout impôt, une indemnité pour les terres qu’on leur prendrait pour y établir des lignes militaires, et de leur part la reddition immédiate des prisonniers et des transfuges. Le lendemain, les députés présentèrent à l’empereur un mémoire dans lequel ils posaient comme conditions préalables la retraite des Russes au-delà du Kouban et de la Laba et la démolition des forteresses. Ces prétentions, quoique accompagnées de protestations d’un ardent désir de vivre sous la loi du grand tsar de Russie, étaient inadmissibles, et les conférences furent rompues.

La dispersion des tribus groupées sur les contre-forts les plus avancés de la montagne avait conduit les Russes jusque sur les confins des Abadzekhs. Ceux-ci, comprenant qu’ils allaient être écrasés, tentèrent une dernière démarche de conciliation. Ils envoyèrent leurs anciens à Tiflis pour solliciter le maintien du traité conclu avec le général Philipson ; mais les concessions stipulées par ce traité étaient incompatibles avec les vues nouvelles du cabinet russe sur la colonisation de la province du Kouban, et les députés furent congédiés sans avoir obtenu de réponse. Le sort des Abadzekhs était décidé ; ils devaient disparaître comme toutes les autres tribus. Le général Yevdokimof avait appelé les plus vieilles troupes, les plus aguerries de l’armée du Caucase. Les montagnards, retranchés sur une éminence escarpée nommée Sem-Kolên (les sept tribus) furent attaqués par les tirailleurs d’Apschéron. Quoique harassé de fatigue par une longue marche, ce régiment enleva cette position à la pointe