Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 60.djvu/976

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la famille Schirvaschidzé, était tombé au pouvoir des Turks en même temps que les pays voisins, la Gourie, l’Imereth et la Mingrélie, vers la fin du XVIe siècle, sous Sélim II et Amurat III. Pour assurer leur conquête, ils construisirent en 1578, sur la côte, deux forteresses, l’une à Soukhoum, l’autre plus au sud, à Poti, à l’embouchure du Phase, et dans le voisinage du pachalik de Trébizonde. Leur domination, souvent troublée par les révoltes des Abkhazes, finit par s’y consolider par la diffusion de l’islamisme, qu’ils propagèrent parmi ces populations, autrefois chrétiennes. Sur la fin du siècle dernier, un membre de la famille Schirvaschidzé, nommé Kelesch-Bey, s’étant emparé de Soukhoum et ayant rangé sous ses lois les Abkhazes, sollicita le haut patronage du sultan, qui le reconnut comme prince régnant de l’Abkhazie et pacha héréditaire de Soukhoum ; mais, ayant donné asile au pacha rebelle de Trébizonde, contre lequel avait été prononcée une sentence de mort, il s’attira le mécontentement de son suzerain. La Géorgie venait alors de se donner aux Russes (1801). Kelesch-Bey implora leur protection et embrassa secrètement le christianisme. Pour le punir, la Porte soudoya sous main le fils aîné de Kelesch-Bey, son successeur désigné, Aslan-Bey, et celui-ci assassina son père à Soukhoum.

Les quatre frères du parricide, enveloppés dans une même disgrâce, réussirent à se soustraire à ses coups et soulevèrent toute l’Abkhazie ; l’un d’eux, Sefer-Bey, appela les Russes à son secours, et, après s’être fait chrétien ouvertement, plaça l’Abkhazie sous leur protection. Cet appel fut pour ces derniers une occasion de s’implanter à Soukhoum, la seule rade commode sur tout ce littoral depuis Batoum jusqu’à Ghelendjik, et ils y établirent une petite garnison de deux compagnies. Cependant Aslan-Bey, soutenu par les Turks, travaillait activement à rallier à lui tous les mécontens et à faire prévaloir ses prétentions. Au milieu des querelles et des déchiremens des partis, le désordre régnait partout, fomenté par les menées des deux puissances étrangères qui se disputaient ce pays, la Russie et la Turquie. Ces révolutions, pendant lesquelles plusieurs compétiteurs s’arrachèrent le trône, durèrent jusqu’en 1830, année qui suivit la conclusion du traité d’Andrinople. La Russie, excipant des clauses de ce traité, fit une première, tentative contre la côte tcherkesse. Un détachement de dix compagnies d’un régiment de dragons, avec huit canons et un corps de Cosaques, arriva par mer dans l’Abkhazie et s’empara de trois points du littoral, Bambors, Pitzounda et Gagry. Les deux premiers furent occupés sans coup férir ; mais Gagry, situé sur un éperon de rochers, détaché de la grande chaîne et plongeant dans la mer, ne céda qu’après une très vive résistance. Les tribus des environs, Sadzes, Oubykhs et Schapsougs, réunies dans un effort commun et désespéré, essayèrent vainement