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une solution de continuité dans le système des frontières méridionales de l’empire, la séparation de l’armée du Caucase d’avec la flotte chargée de la ravitailler et de la mettre en communication avec le reste de la Russie. La guerre de Grimée avait mis ce danger en évidence. Pendant l’hiver de 1855, lorsque Omer-Pacha se jeta sur la Mingrélie, l’alarme fut telle qu’au bazar de Tiflis les marchands refusaient de recevoir ou d’échanger les roubles-papier. La défense de l’entrée du Caucase contre les alliés ne reposait que sur un corps de dix mille hommes cantonnés aux environs de Koutaïs et démunis d’approvisionnemens. M. de Fdaeief va même jusqu’à affirmer que, si des deux cent mille hommes campés sur les ruines de Sébastopol un détachement eût été envoyé pour soutenir Omer-Pacha, l’issue de la lutte n’aurait pas été douteuse, et que la Russie aurait perdu le Caucase. Elle fut tirée de ce mauvais pas, ajoute-t-il, par une circonstance inattendue, le désir empressé de la France de rappeler ses troupes de Crimée et de conclure la paix.

Le traité de Paris, en réduisant la flotte de la Mer-Noire à des proportions déclarées insuffisantes pour maintenir un blocus effectif[1], plaçait la Russie dans une nécessité urgente, absolue, de s’emparer, n’importe à quel prix et sans retard, de cette partie du Caucase, et d’en éloigner des tribus dont la soumission apparente n’aurait pas garanti la fidélité dans l’avenir, de les remplacer par des côlons d’origine nationale et de se fortifier sur ce point. Ce sont de telles exigences qui ont provoqué contre ces tribus des mesures de rigueur dont toute cette guerre n’avait pas fourni d’exemple et l’ostracisme général dont la nation tcherkesse a été frappée.


III

La marche de l’armée russe dans les montagnes du Caucase la conduisit progressivement, mais seulement en dernier lieu, à se mesurer avec les tribus du littoral de la Mer-Noire. Les premières hostilités éclatèrent en 1830 ; elles avaient été préparées de longue date par une suite d’événemens dont l’Abkhazie, l’une des provinces limitrophes, avait été le théâtre. Cet ancien royaume, patrimoine de

  1. Ce blocus comportait au moins 20 vaisseaux de guerre ou navires de transport. En 1853, au début de la guerre de Crimée, la flotte russe de la Mer-Noire, divisée en deux escadres, qui avaient leurs points de ralliement dans les ports de Sébastopol et d’Odessa, comptait 15 grands vaisseaux de ligne, dont 5 à trois ponts et de 120 canons, 10 frégates, 2 corvettes, 4 bricks, 4 schooners et 2 yachts. La deuxième annexe du traité de Paris (article 2) porte que la Russie comme la Turquie ne pourront chacune désormais entretenir dans cette mer que 6 bâtimens à vapeur de 50 mètres de longueur à la flottaison et d’un tonnage de 300 tonneaux au maximum, et 4 bâtimens légers, à vapeur ou à voiles, d’un tonnage ne dépassant pas 200 tonneaux chacun.