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de guerre et des fusils destinés à équiper des régimens dont les cadres avaient été formés à Constantinople ; mais l’entreprise échoua, les régimens attendus ne parurent pas, et les approvisionnemens préparés et apportés à grands frais furent pillés et dispersés par les montagnards.

Que ces expéditions interlopes aient été de notoriété publique à Constantinople, qu’elles aient été connues d’avance par des fonctionnaires turks, d’origine tcherkesse, et favorables en secret à leurs compatriotes malheureux, c’est ce que l’on ne saurait révoquer en doute ; mais, pour être juste, il faut dire qu’elles étaient concertées sous main et avec tant de précautions que la Porte a pu les ignorer. Une fois accomplies et ébruitées, il n’y avait d’autre parti à prendre qu’à les désapprouver officiellement.

C’est ce qui advint dans l’affaire du brick anglais le Kanguroo, qui donna lieu à une enquête poursuivie devant la juridiction du séraskier en 1857 et ensuite indéfiniment suspendue. Le bruit circula que l’on avait voulu éviter ainsi de mettre à jour la coopération du consul de l’une des principales puissances. Ce commencement d’enquête semble démontrer que la Porte n’avait favorisé en rien cette expédition. Il y aurait eu mauvaise grâce à lui reprocher d’avoir laissé surprendre sa vigilance, puisque celle de l’ambassadeur russe, M. de Boutenief, bien autrement intéressé à se tenir sur ses gardes, fut aussi en défaut. Suivant la version donnée par la Gazette de Trieste, la Presse d’Orient et le Sémaphore, les Tcherkesses ayant élu, en qualité de chef suprême, Méhémet-Bey, renégat hongrois du nom de Bangya, celui-ci envoya immédiatement à Londres un de ses amis, Hongrois comme lui et attaché au service de la Porte, pour acheter des armes et des munitions. Cet agent partit muni d’une lettre de crédit illimité sur Londres que lui remit un banquier de Péra. Par ses soins, les armes furent expédiées sur le Kanguroo, qui ne tarda pas à arriver à Constantinople, où il séjourna plusieurs semaines, mouillé devant Koum-Kapou. Dans l’intervalle, Méhémet-Bey avait réuni un corps de quatre cent-cinquante hommes, réfugiés polonais ou hongrois, et, ayant frété un second navire ainsi qu’un remorqueur à vapeur pour conduire ses transports, se dirigea vers Touapse. M. de Boutenief, averti trop tard, fit partir en toute hâte le bateau à vapeur russe le Pruth, pour surveiller l’expédition. Sur ses réclamations, la, Porte lui accorda comme satisfaction l’éloignement à quelques lieues de Constantinople de deux fonctionnaires notoirement compromis dans cette affaire, Ismayl-Pacha, directeur des postes, Circassien de naissance, et Ferhad-Pacha (le général hongrois Stein), le premier, qui était fort riche, pour avoir fourni des fonds, et le second à cause de ses actives