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épousa la fille du chef de l’une des tribus les plus considérables, une princesse cabardienne ; mais ce n’est que du commencement du siècle actuel que datent les tentatives faites dans une pensée de conquête définitive et de domination permanente. Quelques années auparavant, Catherine II avait préparé la réalisation de ce plan par l’établissement d’une ligne de colonies militaires formée des contingens fournis par les Cosaques du Don et de la Mer-Noire. Ces colonies s’étendaient par une suite de postes avancés, et comme une barrière continue, au nord de l’isthme, depuis la Mer-Noire jusqu’à la mer Caspienne, tout le long du Kouban et du Térek, fleuves désignés comme limites de la Russie et de la Turquie par le traité de Kutchuk-Kaïnardji. Le dernier souverain de la. Géorgie, le faible et inhabile George, accablé par les incursions des montagnards, Lesghis et Awares, par les attaques des Persans et des chefs musulmans, ses voisins, et voyant son royaume dans la désolation et la détresse, en fit don à l’empereur Paul Ier par son testament en date du 20 décembre 1800. L’année suivante, le successeur de Paul, Alexandre Ier, déclarait, dans un manifeste adressé à la nation géorgienne, qu’il acceptait le legs du prince géorgien ; mais cette cession, comme celle que fit la Porte à la Russie du littoral oriental de la Mer-Noire par le traité d’Andrinople, n’était rien moins qu’un don gratuit, un héritage sur lequel il n’y avait qu’à étendre la main pour le recueillir. Ces pays, livrés à d’incessantes invasions et au brigandage, et par suite au désordre et à la misère, semblaient une proie que les nations environnantes se disputaient tour à tour pour la saisir ou la déchirer. Partout aux alentours s’offrait un spectacle non moins terrible et affligeant. Au sein des montagnes vivaient, comme dans un repaire inaccessible, les hordes féroces ou barbares des Lesghis, des Awares, des Tchetchenses et des Tartares. Les plaines de l’Arménie, contiguës à la mer Caspienne, étaient divisées en une foule de petites principautés, dont les chefs, presque toujours en rivalité, ne cessaient de se combattre les uns les autres que pour tomber sur les chrétiens. L’Arménie persane et turque était courbée sous la tyrannie de serdars ou de pachas affectant une sorte d’indépendance vis-à-vis du pouvoir central, et que n’arrêtait aucun excès, aucune cruauté. Dans le sud campaient les Kurdes, population de pasteurs belliqueux et turbulens, toujours disposés au pillage et à un coup de main sur leurs voisins, tandis que dans la partie occidentale de l’isthme caucasien les Tcherkesses, embusqués derrière leurs rochers, y maintenaient leur fière et sauvage liberté.

La Russie avait donc tout à faire pour prendre possession des contrées dont elle avait obtenu la cession plutôt nominale que réelle ;