Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 60.djvu/926

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sévère. En un mot, nous mettons la liberté au centre pour qu’on la sente aux extrémités. Les Américains, qui la répandent également dans tout le corps politique, n’ont pas besoin d’exercer sur la tête une surveillance aussi jalouse. Leur congrès n’est point, comme en Angleterre, un impérial parliament, un corps qui tienne lui-même les rênes du gouvernement ; mais le pouvoir du président, déjà tenu en bride par l’élection populaire, se heurte encore aux décisions de la cour suprême. Les ministres ne sont que les agens dociles du président ; mais la responsabilité de tous les fonctionnaires, grands et petits, devant la justice commune, remplace avantageusement la responsabilité des chefs du ministère devant l’assemblée. La liberté américaine a un caractère original qui exige que nous mettions de côté pour la comprendre toutes les idées reçues dans notre pays. Il n’est pas plus sage d’appliquer notre expérience à l’Amérique que de vouloir nous-mêmes nous modeler sur elle.


5 décembre.

Hier dimanche, le juge Russel m’a conduit au school-ship, qui est tout à la fois une école navale, une maison de correction pour les enfans rétifs et un asile pour les enfans vagabonds. Les visiteurs, après un court service religieux dit par le capitaine dans la grande salle du bord, ont adressé aux enfans des allocutions moitié religieuses, moitié plaisantes, qui n’auraient pas été d’un goût exquis pour un auditoire raffiné, mais dont la vivacité, la sympathique franchise et l’amicale exhortation valaient mieux que toutes les grandes phrases qu’un Français se serait cru obligé de faire. La faculté de s’adapter à tous les esprits, de parler pour tous les auditoires, de s’abaisser jusqu’à eux sans s’avilir, ne s’acquiert pas moins dans la pratique des mœurs démocratiques que ce grossier charlatanisme dont je vous ai souvent entretenu. Ce n’est pas l’école qui est mauvaise, ce sont bien souvent les hommes qui en reçoivent les leçons. Il y a en Amérique des orateurs populaciers qui ne savent parler que pour un troupeau d’Irlandais ivres ; mais il y en a d’autres qui savent se faire entendre des intelligences les plus bornées sans salir en rien leur caractère, ni diminuer leur dignité.

Ce matin, à son tour, M. Haie, un des magistrats municipaux, m’a mené en nombreuse société à la prison, maison de correction, asile pour les pauvres et école disciplinaire de Deer Island. J’y ai vu sur une moindre échelle la même chose à peu près que dans les grands établissemens de la ville de New-York. Toutefois, les règlemens diffèrent : la ville de New-York ouvre ses asiles au monde entier ; Boston n’y admet les pauvres qu’après dix ans de résidence dans la ville. Comme à New-York, c’est un pénible spectacle que la prison des filles perdues, tristement enveloppées dans leurs robes