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guerre, et la Géorgie au contraire est retombée au second rang. Aussi, quand le président Davis a annoncé au congrès confédéré le projet inouï dans cette enceinte d’affranchir et d’armer les noirs, il s’est élevé entre les députés de la Virginie et ceux des cotton states des discussions violentes qui semblaient présager une scission prochaine. La Virginie, qui n’a plus rien à perdre, soutient avec ardeur cet expédient désespéré ; mais la Géorgie, l’Alabama, le Mississipi, riches encore de leurs troupeaux de nègres, riches surtout en espérance de la vente anticipée de leur coton, sont tentés fortement de demander abri à l’Union contre le radicalisme impitoyable de l’esclavagisme aux abois.

Pauvres sécessionistes ! ils ont suscité une guerre civile, armé un gouvernement pour défendre et propager l’esclavage, et voilà ce gouvernement qui les prend à la gorge et leur dit à son tour : Rends tes esclaves ! Ils se tournent alors vers l’ancien ennemi ; le gouvernement fédéral devient l’espoir des conservateurs de l’esclavage, la ressource dernière de ceux qui voudraient au moins le laisser mourir de sa belle mort. En atténuant, on se dispute au congrès de Richmond, et les députés en viennent quelquefois, dit-on, aux fisticuffs. Les plus décidés dénoncent la mesure comme une confiscation : le sud se déshonorerait, disent-ils, en abaissant le drapeau de l’esclavage ; il renierait son dogme et sa foi. Enrôler le nègre en lui offrant la liberté, c’est reconnaître qu’il n’est pas impropre à la liberté, et que l’esclavage n’est pas la plus haute condition sociale que le Créateur lui destine ; c’est abandonner, comme une imposture usée, le principe même de la société du sud. Ajoutez enfin que ces champions de l’esclavage sont encore maîtres d’esclaves, que leurs adversaires ne le sont plus, et vous aurez le secret des nobles passions qui enflamment de part et d’autre leur zèle chevaleresque.

Le parti du gouvernement répond que ce n’est pas l’heure des scrupules de conscience ni des théories humanitaires, que la guerre a dévore les blancs, qu’il faut lui donner à manger du nègre ou s’avouer vaincu. Les Géorgiens ne se tiennent pas pour battus ; ils répliquent que l’armée n’est pas épuisée, que les noirs ne peuvent être de bons soldats, qu’il faut résister aux artifices d’un gouvernement spoliateur. On leur cite l’exemple des armées du nord. Alors ils se retranchent dans leur dernier et inexpugnable argument : « vous avez dépeuplé les campagnes, il n’y reste plus que des nègres ; c’est leur travail qui nous nourrit. Mettez-leur le fusil à la main au lieu de la pioche et de la faucille, et nous serons affamés demain. L’institution de l’esclavage a été jusqu’à présent la grande force du sud ; elle lui a permis de soutenir quatre ans une guerre