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comme d’autres. Sans doute il ne manquera pas d’exemples ; mais si les méchans s’appuient sur les méchans pour échapper à la justice, je dis qu’à la fin la république aussi trouvera sa ruine. » Ces prophétiques paroles, vraies déjà sous la république[1], le devinrent davantage sous les empereurs, qui, dans l’Afrique surtout, ne voulurent voir de plus en plus qu’une vaste ferme à exploiter. Quand les Africains criaient justice, Rome n’écoutait pas ; mais dès qu’un Auguste nouveau s’élevait au trône, sa préoccupation première était l’Afrique. Les grains d’Afrique arriveraient-ils, les proconsuls seraient-ils fidèles à les fournir ? Grosse question qui mit plus d’une fois la métropole sous la dépendance de sa colonie et offrit aux ambitions des compétiteurs une arme politique des plus funestes. Un jour, c’est Clodius Macer qui, rebelle contre Galba, retient en Afrique les navires chargés de grains et veut affamer l’Italie ; un autre, c’est Vespasien qui, disputant le trône à Vitellius, projette d’attaquer l’Afrique, « afin, dit Tacite, d’enlever à l’ennemi tous ses greniers et de ne lui laisser que la famine et la discorde. » Plus tard, quand Alaric, vainqueur de Rome, prétend donner à Attale la couronne d’Honorius, il suffit que le gouverneur d’Afrique Héraclius ferme à l’exportation tous les ports de la colonie pour que le peuple romain repousse un usurpateur dont le règne s’inaugurait par la disette, et quand ce même Héraclius s’insurge à son tour, sa première pensée est de tenter contre l’empereur le moyen qu’il avait jadis pris pour le sauver. Faits historiques, descriptions des géographes, chants des poètes, tout prouve que l’Afrique était la nourricière de l’Italie, tout jusqu’à cet intendant spécial ou préfet de l’annone. créé par Commode en Afrique pour acheter et expédier les grains, et jusqu’à cette flotte commodienne, uniquement destinée à les transporter[2]. Qu’on écoute au reste les plaintes éloquentes que Claudien met dans la bouche de Rome lors de la révolte de Gildon : « Depuis que l’Orient a revêtu une robe de pourpre semblable à la mienne et a reçu les plaines de l’Égypte en partage, la Libye me restait, ma seule espérance ! A peine avec l’aide du vent du sud m’envoyait-elle de quoi vivre. Incertaine du lendemain, je sollicitais sans cesse la clémence des vents et des saisons. Cette dernière ressource, Gildon me l’a ravie au moment où l’automne expirait. Mes regards tremblans mesurent l’étendue des mers, cherchant à l’horizon quelque vaisseau qui m’apporte ce que

  1. On ne saurait oublier à ce sujet les remarquables considérations qu’a développées M. Duruy, dans sa thèse de doctorat, sur l’état du monde romain vers le temps de la fondation de l’empire.
  2. Il n’y avait que deux préfets de l’annone dans tout l’empire, un à Rome, l’autre en Afrique.