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établissement occupé par des Romains ? Non, depuis que deux inscriptions latines recueillies au pied des Flissas, dans les ruines du château-fort de Tuleus (Castellum Tulei), à 3 kilomètres du caravansérail actuel d’Azib-Zamoun[1], ont révélé que le fort de Tulens était habité et commandé par des chefs kabyles.

Cette découverte donne la clé du mode d’action vraisemblablement exercé par Rome dans les vallées du Djurdjura. Castellum Tulei était, à en juger par l’importance de ses ruines, un établissement considérable. Si le commandement s’en trouvait confié à des chefs indigènes, il est à penser que les Romains élevèrent dans la vallée d’autres forts ou fortins, — par exemple celui d’Oppidium (Tizi-Ouzou), que cite Ptolémée, — afin de les donner pour résidence à des chefs kabyles ralliés qui avaient la garde de ces positions et la surveillance d’alentour, sous le contrôle supérieur du prœpositus. Les chefs attachés à sa cause, Rome les récompensait sans doute et les retenait par des immunités particulières. Exploiter l’ambition des indigènes influens et les rivalités entre tribus, profiter de l’affaiblissement, plus habituel dans les vallées, des sentimens d’indépendance, ce sont des moyens qui se devinent et qui pouvaient réussir un temps ; mais jouir de la vallée sans régner sur la montagne était une chimère. Même avec des postes militaires romains gardant la vallée, le voisinage seul des montagnes insoumises aurait été une menace constante à la tranquillité de la colonisation ; qu’était-ce donc, si l’autorité romaine avait pour dépositaires des indigènes qu’un jour de mécontentement ou d’entraînement national pouvait jeter dans les bras de leurs frères ?

La France, avant d’avoir achevé la conquête du massif djurdjurien, était sans cesse sur le qui-vive en face des montagnards indépendans, et ceux-ci, en face de nous, se tenaient fièrement, comme ils disent, « assis derrière la batterie de leurs fusils. » On eut alors l’expérience de ces prétendus dévouemens de chefs tels que Si-el-Djoudi[2], qui demandaient l’investiture pour en déserter bientôt les devoirs, et de ces soumissions de Kabyles toujours précaires tant qu’il est resté dans la montagne un territoire libre, comme exemple et abri de la révolte. Il nous souvient d’un fabliau kabyle qui met en scène un chien attaquant un ils à belles dents. « Ah ! ah !

  1. Ces deux précieuses inscriptions se lisent sur deux pierres tumulaires découvertes par MM. le général Pâté et le sous-intendant militaire Raoul. Elles se trouvent aujourd’hui au musée d’Alger. — Le caravansérail d’Azib-Zamoun est à vingt lieues est d’Alger.
  2. Si-el-Djoudi, grand marabout des Aït-Boudrar, s’était rapproché de l’autorité française dans le courant de 1852 et fait investir du titre de bach-agha du Djurdjura. La campagne de 1857 ne l’en trouva pas moins dans les rangs hostiles ; vaincu, il dut se rendre à merci.