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fausses indications sur la nature du pays et les peuplades à subjuguer, que la géographie de la montagne était ignorée des Romains, et que leurs troupes n’en avaient même pas reconnu militairement les approches. Admettrons-nous davantage que les Romains, après la réduction en provinces de leurs possessions africaines, se soient contentés, — comme on l’a soutenu, — de laisser la troisième légion cantonnée à Lambesse avec la tâche de contenir à elle seule la Numidie et la Mauritanie ? Non. Il est certain d’abord que, dans les cas de guerre, — et ces cas ne manquaient point, — Rome envoyait des troupes fraîches d’Europe. Nous avons vu Théodose amener contre les Kabyles un corps expéditionnaire de la Gaule, et, outre la troisième légion, Ammien cite la première et la seconde comme installées alors à Cæsarea (Cherchel) « pour en déblayer les ruines et la protéger contre toute nouvelle insulte des barbares. » Il y a plus : d’après des découvertes épigraphiques récentes et précises, M. Berbrugger a constaté la présence dans l’Afrique romaine de cohortes nombreuses de Sardes, Bretons et Sicambres, d’escadrons de Parthes, Dalmates, etc. Rome aimait à voir ces barbares, qu’elle redoutait, épuiser dans des climats lointains leur dangereuse valeur contre les ennemis de l’empire. Oui, la troisième légion joua en Afrique un rôle particulier : c’est elle qu’on y cite toujours en première ligne, elle y demeure fidèle à ses campemens depuis l’époque d’Auguste, elle y représente plus qu’aucune autre Rome militante, Rome attachée au sol africain. Encore faut-il s’entendre cependant sur la vraie composition d’une légion qui, comme la troisième, garda sans cesse son pied de guerre ; la définir par les mots pedestres milites (infanterie), c’est faire erreur. La légion était un corps complet réunissant infanterie et cavalerie, troupes pesantes et troupes légères, et formant, dit Végèce, une véritable petite armée. La masse pesante, forte au moins de six mille soldats, était composée de citoyens romains ; la masse légère, d’auxiliaires étrangers aussi nombreux et d’une aile de sept cents cavaliers, de telle sorte que la force d’une légion en campagne peut s’évaluer à plus de douze mille hommes. — Une division française, avec ses deux brigades bien complètes, n’atteint pas dix mille combattans. — Que l’on ajoute aux troupes légionnaires les troupes indigènes qui paraissent souvent dans les inscriptions sous les noms d’aile des Gêtules, aile des Maures, etc., les castellani ou soldats chargés de la garde des châteaux-forts, les custodes claustrorum, défenseurs des enceintes, les burgarii attachés comme de vrais esclaves aux remparts du burgus, bourg fortifié qui répond au bordj des Arabes, et l’on verra que les forces permanentes dont Rome disposait en Afrique devaient être considérables.