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Telle fut la dernière apparition des cohortes impériales dans la Grande-Kabylie. L’énergie et le talent du comte Théodose devaient être impuissans à relever le prestige romain en Afrique, et bientôt d’ailleurs, devenu lui-même suspect au gouvernement impérial, il allait périr injustement à Carthage sous le fer du bourreau. En 383, Gildon, fils de Nubel comme Firmus, mais étranger à la révolte de son frère, reçoit en récompense de son apparente fidélité le gouvernement général de l’Afrique, qu’il exerce pendant douze ans au nom de l’empereur. A la mort du grand Théodose, Gildon se rappelle l’exemple de Firmus, et aspire aussi à régner sur un pays libre ; il se sépare ouvertement de l’empire d’Occident, et la Montagne-de-Fer donne ainsi un souverain à tout le nord de l’Afrique.

Privée déjà de la féconde Égypte, que le partage de l’empire avait attribuée à l’Orient, l’Italie se voyait affamée par la perte de ses autres possessions africaines[1] ; elle réclama donc à grands cris une guerre pour les reconquérir. Cette campagne, dont le poète Claudien a chanté les débuts avec emphase, nous n’avons pas à en suivre les incidens ; la Kabylie n’en a pas été le théâtre, c’est dans la province de Tunis que la fortune contraire jeta Gildon entre les mains de ses ennemis. Mais Gildon ne succomba que parce que Rome trouva contre lui un allié inattendu et puissant dans son dernier frère Mascizel, dont il avait cruellement massacré les fils ; c’est seulement pour venger le meurtre de ses enfans que Mascizel, jadis soldat de l’indépendance à côté de Firmus, consentit à défendre la cause de Rome et à commander ses légions. Malgré des forces dix fois supérieures, Gildon fut vaincu sans combat : les deux armées allaient en venir aux mains quand Mascizel, d’un coup de sabre, abattit le drapeau d’un porte-étendard ennemi placé au premier rang. A la vue de cette enseigne qui s’abaissait, les Africains pensèrent que leur avant-garde s’était rendue ; ils se crurent trahis, la panique se changea bientôt en déroute ; Gildon, abandonné des siens, fut conduit captif à Rome, où, indigné d’avoir servi de spectacle à la populace, il se donna la mort dans sa prison (an 398).

Avec Gildon, la race de Nubel ne s’éteignait pas encore ; Mascizel restait, trop grandi toutefois par sa victoire pour que Rome ne se lassât pas vite d’avoir à lui être reconnaissante. Venu à Milan au-devant des honneurs promis, Mascizel n’en devait pas sortir : il périt obscurément dans la rivière Olona, victime des satellites de

  1. Rome recevait ses provisions de l’Égypte pendant quatre mois et du reste de l’Afrique pendant huit mois. — Voyez Flavius Josèphe, Guerre des Juifs, liv. II, ch. 9 et 16.