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ténèbres ils entourent nos camps d’une ceinture de coups de feu. leur but est de forcer nos grand’ gardes à leur répondre et de pouvoir ensuite diriger leurs balles sur la lueur de ces coups. Enfin l’ardente furie qu’ils savent mettre à inquiéter les retraites est bien connue de l’armée d’Afrique. Dans tous les combats de montagne qu’ont livrés nos troupes en Algérie, partout où elles ont eu affaire à des Kabyles, ce sont nos arrière-gardes qui ont supporté le plus glorieux poids de la lutte. Sans chercher hors du Djurdjura des exemples, on peut citer, dans la première expédition contre les Zouaouas, en 1854, la journée du 20 juin où, battus sur tous les points, les Kabyles attendirent que nos troupes dessinassent leur mouvement rétrograde vers le camp pour reparaître prompts comme l’éclair, surgissant du sein des buissons et du fond des ravins, courant sus à nos derniers échelons, tentant de tourner nos flanqueurs et venant presque disputer aux soldats du 60e le corps du colonel Deligny[1], grièvement blessé à l’extrême arrière-garde. Même tactique en automne 1856 chez les Guechtoulas révoltés, où plus d’une fois nous vîmes les Aït-Kouffi, les Aït-bou-Addou, les Aït-Douela bondir avec acharnement sur nos soldats d’arrière-garde et vouloir lutter corps à corps avec eux. Certes des retours offensifs répétés finissaient par en avoir raison ; mais nous perdions, somme toute, plus d’hommes en une heure de retraite qu’en un jour de combat. La victoire, il faut le dire, ne devait être décisive en Kabylie qu’à la condition d’éviter les retraites. Une des grandes causes de succès de la campagne de 1857, c’est qu’on y marcha toujours droit devant soi sans faire un pas en arrière. Maître d’un champ de bataille, on campait dessus. C’était le vrai moyen de paralyser la tactique la plus chère à l’ennemi, et dès lors, avant même de combattre, les Kabyles se sentaient à demi vaincus.

Deux années de luttes suffirent à peine à Théodose pour amener à composition les tribus des Jésalènes et des Flissas. Restaient les Jubalènes à vaincre et Firmus à saisir. Firmus ne se laissa pas prendre vivant. Au moment d’être livré par un allié perfide[2], il s’étrangla de ses mains. Quant aux Jubalènes, dignes devanciers des Zouaouas, ils ne se rendirent point, et l’enseignement capital qui résulte de cette guerre, c’est que les efforts de Théodose contre le pays des Jubalènes, cette citadelle du Djurdjura, demeurèrent sans succès. De l’aveu même.de son historien, le grand général « recula devant l’âpreté de ces cimes élevées et les défilés tortueux qui en sont les seuls passages. »

  1. Aujourd’hui général, commandant la division d’Oran.
  2. Igmazen, roi des Isaflenses, qui, « habitué à vaincre, dit Ammien, mais ébranlé par un brusque changement de fortune, » avait traité avec Théodose en promettant comme gage de paix la livraison de Firmus.