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conquêtes de la réformation, et toute conquête n’impose-t-elle point des devoirs ? C’est au nom des martyrs protestans, c’est en invoquant les ombres des docteurs brûlés sur les bûchers de Smithfield, que les membres plus ou moins latitudinaires du clergé réclament aujourd’hui le droit de penser par eux-mêmes. Et qui oserait étouffer cette voix ? Non pas ceux-là du moins qui, en fait de croyances religieuses, préfèrent la division dans la liberté à l’uniformité dans la servitude.

Un des dogmes qui ont le plus occupé dans ces derniers temps quelques nobles esprits de l’église anglicane est celui de l’éternité des peines. A leur tête se place le révérend Maurice, qui a rendu de si grands services aux classes ouvrières[1]. Il ne croit point à un enfer chrétien, et quel témoignage invoque-t-il pour appuyer son opinion ? L’autorité d’un poète dont le nom sonne mal à l’oreille des dévots. La lecture du Giaour lui en a plus appris, dit-il, sur ce sujet que toutes les menaces tonnant du haut de la chaire. Byron y parle d’un de « ces momens qui pèsent sur toute la destinée d’un homme, dont nul ne peut mesurer la longueur, et qui, si court qu’il soit dans la durée des temps, est une éternité pour la pensée (eternity to the thought). » C’est dans ce sens que le savant théologien explique les mystères d’une autre vie. « L’infini, comme dit encore Byron, l’espace sans bornes, le malheur sans nom, sans espérance, sans fin, » tout cela est dans cet éclair de la pensée que la lueur même de la conscience rend si terrible. En un mot, l’âme de l’homme est ainsi faite qu’elle peut embrasser toutes les souffrances dans un moment éternel. Certes nous voilà bien loin des tourmens matériels de la géhenne de feu ! Grâce à la tolérance et à l’élasticité de doctrines qui distinguent après tout l’église anglicane, le révérend Maurice a pu rester ferme sur les limites extrêmes de l’orthodoxie. Une partie du clergé s’est pourtant effrayée tout récemment de cette libre recherche de la vérité. Ne trouvant ni dans les lois du royaume ni même dans la discipline ecclésiastique le moyen d’atteindre certains doutes cachés derrière des positions officielles, elle a imaginé de lier de plus près les consciences au credo de l’église établie : de là les efforts de la convocation de Canterbury pour engager sur l’honneur la foi des jeunes ministres. C’était évidemment son droit d’agir ainsi ; mais on se demande si elle a bien

  1. Professeur de théologie à King’s Collège en 1846, il fut obligé de quitter ce poste par suite de l’animosité que soulevèrent ses opinions religieuses. Il est aujourd’hui vicaire de la chapelle de Saint-Pierre dans Marylebone. On lui doit la fondation des Working men’s et des Working women’s Colleges, admirables institutions pour l’enseignement des ouvriers et des ouvrières. Le Macmillan’s Magazine a été en partie rédigé sous son influence.