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paraît l’ère violente de la restauration : le glaive se retourne contre les puritains. Peu à peu l’orage s’apaise, et la série des archevêques protestans, désormais calmes dans la victoire, se continue jusque sur les murs de la salle des gardes, aujourd’hui la salle à manger pour les grands dîners d’état, state dining room. Cette succession ininterrompue des anciens et des nouveaux primats explique d’ailleurs bien l’idée de l’église anglicane : pour elle, la réformation n’est ni une lacune ni une scission, c’est un développement.

Le palais de Lambeth a été surnommé le Vatican britannique. Et en effet que de souvenirs se pressent sous ces voûtes sévères, hantées par tous les spectres de l’histoire ! Marie Tudor, Élisabeth, presque tous les rois et toutes les reines de l’Angleterre y sont venus consulter les archevêques de Canterbury sur les affaires de l’église et de l’état. Pierre le Grand y a passé. Latimer, Thomas Morus, l’évêque catholique Fisher, y ont été successivement détenus pour leurs opinions religieuses. Ce palais était en même temps une prison. Les anciens archevêques cumulaient les fonctions de primat et d’inquisiteur de la foi. La triste gloire d’avoir commencé les persécutions appartient, dit-on, à l’archevêque Arundel, qui fit dégrader et brûler à Smithfield, en 1401, un prêtre nommé William Sawtre. Chicheley, qui lui succéda, ne voulut point rester en arrière : il ordonna de bâtir la tour des Lollards[1]. C’est cette partie du château qu’il me restait à visiter. On y pénètre par la tour de l’Eau (Water tower), à la base de laquelle s’ouvre une chambre voûtée qu’on appelle la salle du Pilier (Post room). Au centre se trouve en effet un pilier en bois qui, droit comme un arbre, sert en partie à supporter la masse de la tour. La tradition veut qu’à ce poteau on ait jadis attaché les hérétiques pour leur administrer la peine du fouet. Cette salle communique par un bout avec la chapelle où les lollards repentans pouvaient faire leur abjuration, et de l’autre avec la tour, dont je montai, non sans quelque émotion pénible, les rudes degrés de pierre. Tout y est resté intact, la chambre du geôlier, les cellules, le donjon, la plate-forme et la niche ornée de sculptures gothiques dans laquelle figurait à l’extérieur la statue de Thomas Becket. Montez toujours, et vous

  1. Le nom de cette secte, qui avait pris naissance en Allemagne au commencement du XIVe siècle, a fort exercé la science des étymologistes. Les uns le font dériver du mot allemand lullen, lillen ou lallen, qui veut dire chanter, d’autres du mot latin lolium (ivraie), par allusion a la parabole de l’Évangile, d’autres enfin de Walter Lollard ou Lolhard, un des chefs de la secte. Ce qui est certain, c’est que l’épithète de lollard servit plus tard à désigner tous les hérétiques. Elle fut appliquée dans ce dernier sens en Angleterre aux disciples de Wicleff.