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avait reçu du roi de Danemark le titre de feld-maréchal pour ses services en Norvège ; quatre ans après, on lui proposa d’aller servir en volontaire auprès du roi de Prusse. Le prince accepta l’offre avec joie. La guerre était sur le point d’éclater entre Frédéric et l’empereur Joseph II au sujet de la succession de Bavière. Quelle occasion meilleure de faire ses premières armes et de voir à l’œuvre sur son terrain le héros de la guerre de sept ans ! Le feld-maréchal de Christian VII se rend en toute hâte à l’armée de Silésie, commandée par Frédéric ; son frère aîné, héritier présomptif du trône de Hesse, qui servait en volontaire avec le titre de major-général prussien, y avait déjà son quartier. La présentation se fît brusquement et militairement. Un matin, les deux princes de Hesse, se rendant au quartier-général, voient accourir le roi, accompagné d’un aide-de-camp. Ils se rangent pour le laisser passer. Le roi s’approche : « Ah ! dit-il, c’est le prince votre frère ! J’aurai le plaisir de vous voir au quartier-général. » Et il continue sa route. la cérémonie était terminée. Au quartier-général, on se connaissait déjà ; le roi fut plein de cordialité pour le jeune maréchal danois, et après maintes questions sur sa bonne amie, la reine-mère de Danemark, il l’invita le soir à sa table. Le dîner fut long, car le roi parla beaucoup et fit beaucoup parler le jeune prince. Il s’agissait surtout de la Norvège, de l’état du pays, de ses ressources matérielles et morales, et comme le prince, possédant son sujet à fond, répondait aux interrogations du roi avec autant de précision que de plaisir, ce premier examen lui fut de tout point favorable. Les jours suivans, l’examen recommença, les questions se multiplièrent et prirent un caractère nouveau. Soit que Frédéric, après un premier témoignage de sympathie, revînt à son tour d’esprit naturel, soit qu’il voulut tâter le prince Charles, il laissa siffler le sarcasme à travers son enquête. Ce n’étaient plus seulement les questions d’une intelligence curieuse et avide, c’étaient des questions mordantes. Le prince était sur ses gardes, tout prêt à la riposte, et attentif toutefois à ne pas oublier les lois du respect. Un soir, c’était le troisième ou le quatrième dîner, le roi paraissait un peu échauffé en se mettant à table : il venait d’apprendre que ses réclamations à Joseph II au sujet de l’occupation de la Bavière par les troupes autrichiennes avaient été mal reçues, et que la guerre était inévitable.


« À table, le roi commença ses questions, et cela sur l’agriculture du Holstein. Je lui dis que les chevaux et les bestiaux en étaient la principale branche, qu’il y avait des terres qui possédaient trois cents, quatre cents, cinq cents vaches. Le roi me répondit avec vivacité : « Par Dieu ! je crois que ma bonne amie la reine Julie m’assisterait volontiers avec trente mille bœufs. — Je n’en doute pas, sire, lui répondis-je, et dans ce cas ce serait