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Le témoignage que s’accorde ici le prince Charles peut-il être suspect ? Je ne le pense pas. Le prince, on le verra par la suite, est parfois singulièrement crédule en ce qui concerne les autres, tant la candeur de son âme le rend accessible à la tromperie ; cette candeur même est la garantie de son langage en tout ce qui le regarde personnellement. Il y a dans ses confessions un accent de sincérité qu’on ne saurait méconnaître. Nous avons d’ailleurs à cet égard un sûr moyen de contrôle ; l’histoire confirme de la manière la plus éclatante les paroles qu’on vient de lire. À quelle époque finissent les quarante et une années auxquelles le prince ne peut songer sans larmes ? Comment et au milieu de quelles circonstances eut lieu la réunion de la Norvège à la Suède ? Après une révolution accomplie à Stockholm en vue d’arracher la patrie de Charles XII à l’invasion moscovite (1809), après la mort du prince Christian-Auguste de Holstein-Augustenbourg, successeur désigné du trône (1810), le nouveau prince royal, Bernadotte, détournant la Suède de son antique alliance avec la France, s’unit à la Russie contre Napoléon, devient un des chefs de la coalition européenne, et vainqueur de ses anciens compagnons d’armes (1813), va porter la guerre chez nos fidèles alliés du Danemark, où il impose au roi l’abandon de toutes ses possessions norvégiennes (traité de Kiel, 14 janvier 1814). Savez-vous ce que fit la Norvège ? Elle protesta les armes à la main contre cette décision qui la réunissait à la Suède ; elle voulait continuer à vivre sous l’administration danoise, tant le prince Charles avait su protéger les intérêts et faire respecter les droits de son cher peuple norvégien. Vainement le roi Frédéric VI avait-il engagé sa parole, son fils, le prince royal Christian-Frédéric (et notez qu’il était par sa mère le petit-fils du prince Charles de Hesse)[1], fut obligé par les Norvégiens eux-mêmes de prendre le commandement de l’armée pour s’opposer à l’exécution du traité de Kiel. La guerre dura six mois ; la Suède n’obtint la Norvège que par droit de conquête (14 août 1814), et sans les désastres de la France, sans les menaces de la coalition, qui peut affirmer que ses armes eussent triomphé ? Voilà, ce me semble, le plus magnifique éloge de l’administration toute paternelle du landgrave Charles, prince de Hesse.


III

Un des plus curieux épisodes des Mémoires du landgrave Charles, c’est son séjour auprès de Frédéric le Grand. En 1774, le landgrave

  1. Une fille du prince Charles, la princesse Marie, avait épousé le fils de Christian VII, celui qui régna sous le nom de Frédéric VI, de 1808 à 1839.