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meilleure où la liberté pourrait être sans péril restituée à la nation. On a raconté ici même les préoccupations du roi de Suède au lendemain de sa victoire ; on l’a montré recherchant les suffrages de l’opinion à ce tribunal de la France qui jugeait les affaires de l’Europe ; et quelle joie pour lui quand Voltaire, d’Alembert, tous les encyclopédistes, sans parler des reines de salon, saluaient de leurs bravos ce coup d’état qui donnait le pouvoir absolu à un roi réformateur ! Ces acclamations si enviées ne suffisaient pourtant pas : il fallait à Gustave des succès plus rapprochés et des prestiges plus directs pour triompher des ressentimens de la noblesse. Ceux-là mêmes qui avaient applaudi d’abord à la chute de l’oligarchie, bourgeois et paysans, n’allaient-ils pas réclamer le prix de leur adhésion ? Ces réactions inévitables ne permettent pas aux vainqueurs de s’endormir ; Gustave III devait aller au-devant des exigences. Un de ses premiers plans, nous l’apprenons par les Mémoires du landgrave Charles, fut d’exciter une rébellion en Norvège et de s’y faire nommer roi par le suffrage populaire. L’effroi fut grand à Copenhague lorsqu’on sut que les émissaires de Gustave parcouraient le pays, et que lui-même faisant son Eriks gatta, c’est-à-dire son tour de Suède, s’avançait lentement le long des frontières norvégiennes. On se serait effrayé à moins ; il y avait si longtemps que l’incurie et le dédain de l’administration danoise laissaient la Norvège en souffrance. « Tout, dit le landgrave, était dans l’état le plus déplorable : les forteresses tombaient en ruine ; pas un canon monté ; les troupes n’avaient point été exercées depuis dix ans. » Il n’y aurait eu là qu’un demi-mal, si les Danois s’étaient élevés des remparts dans le cœur des Norvégiens. Par malheur, c’était le contraire. En même temps qu’on laissait crouler les forteresses et l’armée se dissiper en poussière, on ne négligeait rien pour s’aliéner les habitans. Ce n’étaient pas des frères, c’étaient des vassaux. Pauvres colons tributaires, la libre importation des grains leur était interdite ; il leur fallait prendre à haut prix le blé venu du Danemark. D’autres impôts non moins iniques pesaient sur cette nation laborieuse et honnête. L’armée, incapable de protéger le pays, n’était bonne qu’à servir les exigences du fisc. Que d’injustices surtout dans les provinces éloignées ! que de violences impunément commises ! Peu à peu cependant les distances, l’isolement des victimes, le silence des longues solitudes ne réussissent plus à cacher les coupables. « On murmurait hautement, dit le landgrave, et déjà les gazettes de Christiania discutaient la question de savoir si la Norvège ne serait pas plus heureuse, unie avec la Suède. Ce fut dans ce moment qu’on me choisit pour le commandement en Norvège. »