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âme douce, une âme furieuse, et l’âme furieuse, l’âme démoniaque, venue on ne sait d’où ni comment, avait fini par dominer l’autre. De là, l’avilissement du roi, l’abandon et les fautes de la reine, de là aussi les entreprises de Struensée auxquelles on ne put mettre fin que par une conspiration où se déchaînèrent d’autres passions non moins coupables. Le landgrave, dans son impartialité, regrette la conspiration dont Struensée fut victime autant qu’il a déploré le scandale de son élévation. « Les choses, dit-il, prirent une tournure moins malheureuse pour l’état, quoique je regarde toujours la révolution du 17 janvier 1772 comme un éclat fatal, et qui, je l’avoue, me peine quand j’y pense. »


II

Le prince Charles ne fut pas toujours réduit au rôle de spectateur. De graves événemens se préparaient en Norvège. On sait que la Norvège relevait alors de la couronne danoise et qu’elle était convoitée par la Suède. Ces affinités naturelles, qui devaient réunir un jour les deux parties de la péninsule Scandinave sans leur enlever leur caractère distinct, étaient une tentation perpétuelle pour le royaume ébranlé de Charles XII. Or, au moment même où le prince Charles commençait à se faire apprécier du gouvernement de Copenhague, la Norvège était devenue plus que jamais le point de mire de l’ambition suédoise. Combattre ces tentatives de la Suède, maintenir la Norvège sous la suzeraineté du Danemark en respectant ses mœurs et ses franchises, lui inspirer même le sentiment de son autonomie, desserrer à propos ses liens sans les laisser se rompre, en un mot faire sentir aux Norvégiens les avantages de l’union danoise et en dissimuler les inconvéniens, telle fut la tâche délicate dont le gouvernement de Copenhague chargea le landgrave de Hesse. À quelle occasion ? il faut le dire en peu de mots ; c’est un de ces curieux épisodes qui vont se perdre dans l’histoire générale et que des mémoires comme ceux-ci ont le mérite de remettre en lumière.

Après son coup d’état du 19 août 1772, le jeune et brillant roi de Suède, Gustave III, avait besoin de justifier par ses actes l’accroissement de sa puissance. Sans verser une goutte de sang, il avait arraché son pays à une oligarchie désastreuse, il avait déjoué les complots de la Russie, de la Prusse, du Danemark lui-même, enfin il avait enlevé aux spoliateurs de la Pologne l’espérance de se partager la Suède. C’était beaucoup sans doute ; la journée du 18 août méritait de devenir une date glorieuse, pourvu que le despote fit de son autorité un patriotique usage et préparât l’époque