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Llano, envoyé d’Espagne en Danemark, qui dansait fort bien, mais était d’une taille et d’un embonpoint qui exigeaient une solidité à la salle du bal qui manquait entièrement à celle-ci, commençant ) danser avec sa vivacité ordinaire, la salle fut prête à crouler. On cessa la danse jusqu’à ce qu’on eût étrançonné ce galetas avec des poutres dans la salle d’en bas. On tâcha de rassurer les dames, et le bal continua. »


Voilà un singulier bal et d’étranges incidens pour célébrer le mariage du prince qui sera bientôt le fastueux Gustave III ; mais ce qui me frappe le plus dans ce tableau, ce n’est pas le galetas transformé en palais, les couvertures des chevaux servant de tapisseries, le formidable ambassadeur mettant une salle de bal en péril par sa danse effrénée : c’est le jugement du landgrave de Hesse sur le prince royal de Suède. Avez-vous remarqué ce signalement ; « un prince de beaucoup d’esprit, qui avait reçu une éducation très recherchée, mais dont la physionomie offrait quelque chose de faux ? » Ce je ne sais quoi d’inquiétant, le landgrave de Hesse le retrouvera sur le visage de son beau-frère chaque fois que le hasard les rapprochera. Quatre ans après, le prince royal de Suède ayant passé par Copenhague pour faire son voyage de France, le landgrave devine à sa conversation les futures hardiesses de sa politique, et tout en appréciant son ardeur, il ne peut s’empêcher de le tenir en défiance. C’est encore une page à noter.


« En 1770, le prince royal de Suède et son frère cadet Frédéric firent un voyage en France et passèrent par Copenhague, où ils s’arrêtèrent pendant quelque temps. Notre cour les reçut dans une situation bien extrême. Le ministère était sur le point d’être renvoyé. Struensée, médecin du roi, possédant sa confiance et celle de la reine au plus haut degré, voulait tout écarter qui pouvait être dans son chemin ou résister à son pouvoir absolu. La cour était déserte, et tout annonçait l’écroulement total du gouvernement d’alors. Le prince royal, depuis Gustave III, vint avec son frère, le sénateur Scheffer, et quelques messieurs à Slesvic, où ils logeaient à la poste. Ils se firent annoncer et vinrent souper chez nous et passèrent quelques jours ici, où il y eut tous les amusemens qu’on pouvait leur procurer, Son principal mérite était la conversation, qui ne tarissait jamais avec lui. Il était fort intéressant, quoique regardant toute chose sous un autre point de vue que moi. Il raconta à ma femme et à moi. après avoir déjeuné seul chez nous, l’histoire de la diète de Norkiœping et de ce qui l’avait précédée, le roi son père ayant voulu abdiquer, si elle n’était assemblée. Il parla avec tant de vivacité, d’esprit et de chaleur sur cette affaire que, dans le tableau que j’en traçai à M. de Bernstorff, je lui présageai sur-le-champ la révolution qu’il fit deux années après, étant devenu roi de Suède pendant qu’il était en France. Il me témoigna la plus grande amitié et me fit les plus grandes protestations. Je ne puis nier cependant que je sentais quelque chose qui me forçait à me défier de lui. »


Et comme il peint le roi de Danemark Christian VII, la reine Caroline-Mathilde,