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description des caractères, et peu importe l’inhabileté du peintre quand les choses parlent d’elles-mêmes. Cette figure de Gustave III qu’un écrivain d’un rare savoir fait revivre aujourd’hui sous nos yeux, il y a plaisir à la voir appréciée par un témoin direct. Le jugement combiné à distance d’après les renseignemens les plus variés n’est pas infirmé le moins du monde par le jugement sommaire écrit à brûle-pourpoint. Les contrastes mêmes, s’il y en a par hasard entre les deux récits, ont leur côté instructif et piquant. M. Geffroy nous parle des goûts somptueux de Gustave, de son amour des fêtes magnifiques ; combien l’imitateur de Versailles et de Trianon devait souffrir plus tard en se rappelant les fêtes mesquines de son mariage dans les baraques d’Helsingborg !


« Il faut que je reprenne une circonstance fort remarquable, c’est le mariage et le départ de la princesse aînée, sœur du roi, Sophie-Madeleine, pour la Suède. L’ambassadeur suédois, M. le comte de Horn, étant venu pour la demander, les noces se firent dans l’église du château, La princesse paraissait contente du sort qui l’attendait. Après les noces, on alla à Hirschholm chez la reine-mère. Nous y passâmes quelques jours et nous rendîmes, ensuite à Kronenborg. Le prince royal de Suède était à Helsingborg. Il avait demandé au roi dans une lettre de vouloir m’envoyer à Helsingborg. La princesse royale de Suède passa le Sund dans une grande chaloupe danoise accompagnée de beaucoup d’autres. Je partis une heure d’avance sur une chaloupe royale, accompagné du ministre de Danemark en Suède, M. de Schack. Je fus reçu très poliment sur le pont de Helsingborg et mené tout droit à la maison du prince royal, ensuite Gustave III, qui me reçut à bras ouverts. C’était un prince doué de beaucoup d’esprit, et qui avait eu une éducation très recherchée ; mais il avait quelque chose de faux dans la physionomie qui me frappa d’abord. Il me combla depolitesses. Lorsque la princesse royale s’approcha, il se rendit au pont, et je l’y accompagnai. J’étais à côté de lui lorsqu’il la vit se lever de sa chaloupe pour descendre à terre. Il s’écria tout haut : « Dieu ! qu’elle est belle ! » Il est vrai qu’elle avait un port très majestueux et très beau. En tout, elle était belle lorsqu’elle était en grande parure, grande, avec de grands et beaux yeux, et beaucoup de bonté dans la physionomie. Le prince royal lui donna la main et la conduisit à sa maison. Le pont était couvert d’un drap bleu à couronnes, la rue d’un drap bleu. Les maisons qu’occupait le prince royal étaient peu éloignées les unes des autres. C’étaient sans doute les meilleures de Helsingborg, qui, alors au moins, n’avait que des maisons d’un étage et beaucoup de chaumières. Les dragons de Scanie bordaient les rues, grands hommes et petits chevaux, uniformes du temps de Charles XII. Tout avait l’air bien singulier et bien mesquin. On dîna à une grande table en fer à cheval. Il y eut bal le soir dans la maison du prince royal, où on avait arrangé une salle sur le galetas. On y avait pendu, au lieu de tapisseries, des couvertures de chevaux de main, avec des armes et autres meubles, pour couvrir les côtés de cet appartement. Le bal commença. M. de