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prince royal, à présent le roi Frédéric VI, y introduisit trente ans après, appuyé et soutenu dans ce plan irrévocablement décidé de lui par le comte de Bernstorff, le comte Christian de Reventlow, président de la chambre, et le conseiller privé Colbjornsen, — que cet état changea. Tout était contre cette mesure, qui changeait absolument la face du Danemark. Les réclamations publiques, les oppositions, les intrigues, les clameurs, rien ne fit effet sur le jeune prince. Il vainquit tout, sans une seule vivacité, laissant toujours agir la loi seule et ne se mettant jamais plus avant que le moment ne l’exigeait. Peu de victoires ont été aussi mémorables que d’affranchir tranquillement un peuple malheureux des liens les plus honteux auxquels l’homme puisse être soumis… »


Attentif à tout ce qui intéressait le Danemark, le prince de Hesse ne tarda guère à y occuper une place considérable. Son esprit appliqué, sa précoce intelligence lui avaient ouvert déjà, presque malgré lui, les portes des conseils supérieurs ; le charme de son caractère et ses vertus de famille l’attachèrent bientôt d’une manière plus étroite à la maison régnante. Le vieux roi Frédéric V aimait tendrement ce jeune neveu si grave, si dévoué au bien public, si étranger aux intrigues de cour, et le prince Charles avait si bien gagné toutes les sympathies que la mort même de Frédéric V ne put empêcher l’accomplissement de ses destinées. Ce fut au lendemain de cette mort pour ainsi dire et sous un roi tout différent que le prince de Hesse, par un mariage selon son cœur, entra dans la famille royale de Danemark. L’année 1766 est une date pleine de souvenirs pour notre personnage ; laissons-lui la parole.


« En 1765, la cour rentra en ville à la fin de l’automne. La maladie du roi se décida bientôt pour une hydropisie mortelle. Je ne puis dire que l’alarme, les craintes de le perdre ne se manifestèrent pas. On cachait assez le danger du roi. il ne voyait personne. Je voyais presque journellement dans ce temps-là le prince royal chez la reine Sophie-Madeleine, mère du roi. C’était, depuis notre venue à Copenhague, notre plus grande protectrice. Elle nous aimait comme ses petits-enfans. Nous passions la part de l’été chez elle à Hirschholm. Nous y dînions et soupions presque toujours seuls avec elle. Elle nous comblait de bontés, et cela s’est soutenu jusqu’à son dernier soupir. Le prince royal était d’une figure charmante, extrêmement dispos, vif, pétillant d’esprit, rempli de bons mots, d’une gaîté extrême et paraissant d’une bonté et douceur infinies. Il ne souhaitait point d’être roi, craignant que cela le gênerait ; mais la Providence en avait décidé autrement. Le bon roi Frédéric mourut beaucoup trop tôt pour le bonheur de son peuple, le 14 janvier 1766. On fit annoncer de s’assembler au Château, dans l’antichambre du roi, à neuf heures du matin. On y attendait en silence le moment où on prononcerait le mot fatal. Toute la place de Christianbourg était remplie de monde qui s’y était attroupé. Le comte de Moltke parut et sortit de la chambre du roi, pâle comme la mort, ne pouvant proférer une parole. Le ministère se rendit