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la parfaite convertibilité de la monnaie fiduciaire, et l’empêche de contrarier jamais les lois du change, de mettre obstacle à la rentrée du numéraire, lorsqu’il est nécessaire qu’il en rentre ; malheureusement il a d’autres inconvéniens très graves. D’abord il a celui de limiter en vertu d’une loi ce qui de sa nature ne doit pas être soumis à des limites légales. L’émission des billets au porteur est un acte de confiance qui repose sur la bonne volonté du public. Entourez-la de toutes les garanties désirables, faites qu’elle émane d’une compagnie puissante placée sous le contrôle du gouvernement, que cette compagnie soit obligée de publier des états de situation périodiques, mensuels ou hebdomadaires, que de plus elle ne soit jamais, sous aucun prétexte, affranchie de l’obligation de rembourser en numéraire, et fiez-vous-en au public pour le reste. Ce qu’il y a de particulièrement grave dans la limite fixée à l’émission de la Banque d’Angleterre, c’est qu’on voit le moment où, en vertu de l’acte de 1844, cette Banque peut être obligée de s’arrêter et de suspendre ses opérations. On ne peut pas se figurer l’influence déplorable qu’exerce sur le commerce cette perspective de la cessation des opérations de la Banque. Aussitôt que la réserve baisse, c’est-à-dire la somme en billets que la Banque peut émettre légalement, chacun a les yeux sur cette réserve. Si on ne l’observait encore que pour agir avec plus de prudence, l’effet pourrait être salutaire ; mais on l’observe avec l’idée qu’on est à la veille d’une crise, et on agit en conséquence. Chacun resserre son crédit, retire ses fonds des endroits où ils sont déposés, court à la Banque pour augmenter ses provisions, et la crise arrive par cela seul qu’on la craignait, — ce qui a fait dire à un, homme d’état illustre, à un ancien ministre des finances en Angleterre, sir George Cornewall Lewis, que l’acte de 1844 faisait en un seul jour plus de mal qu’il n’avait jamais pu faire de bien.

Ce qui prouve encore que cet acte produit à certains momens un effet moral désastreux, c’est qu’aussitôt qu’on est obligé de le suspendre, — et on l’a déjà suspendu deux fois depuis qu’il existe, — aussitôt que la Banque est autorisée à émettre des billets en dehors de la limite légale, immédiatement la panique cesse, et le public n’a plus besoin de ces billets que la panique seule faisait émettre. En 1857, il a suffi de 400,000 livres sterling de billets de supplément pour satisfaire toutes les demandes.

L’acte de 1844 n’est donc pas l’idéal à invoquer pour assurer les meilleures conditions de la circulation fiduciaire. J’aime mieux notre système français. Ici point de limites à l’émission des billets au porteur, la Banque de France en émet tant qu’elle veut, ou plutôt tant qu’elle peut, tant que le public veut en recevoir. Et comme ce même public est éclairé sur la situation de la Banque par des