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nécessaires, et en avoir négligé d’autres qui l’étaient beaucoup plus. La monnaie métallique a cette utilité de rappeler chacun à la mesure des besoins. Comme elle a une valeur universelle, qui ne dépend pas des caprices du moment, elle ne s’échange jamais que contre des choses qui répondent à un besoin réel. Elle sert donc de critérium à la production. Si on a produit trop ou si on a produit mal, on est bien vite corrigé de son erreur par la valeur plus grande qu’acquiert l’argent, et jamais l’équilibre entre l’offre et la demande n’est longtemps rompu dans une société commerciale qui a la monnaie métallique pour instrument d’échange.

Il y a deux choses dont il faut se préoccuper quand on émet de la monnaie fiduciaire : qu’elle puisse toujours être convertie en espèces, c’est la condition essentielle du maintien de sa valeur intégrale, — ensuite qu’elle ne déplace pas le numéraire dans une proportion trop considérable. Du moment que la monnaie fiduciaire est acceptée comme instrument d’échange, il est bien évident qu’elle déplace la monnaie métallique. Celle-ci, ne pouvant plus rester dans la circulation qu’en étant dépréciée, s’en va chercher ailleurs un pays où elle a sa valeur tout entière. Si le déplacement n’a lieu que dans la mesure où la monnaie métallique peut être économisée sans inconvénient, tout est pour le mieux ; mais s’il est plus fort, que l’argent devienne rare et acquière tout à coup une valeur exceptionnelle, la monnaie fiduciaire, loin d’être utile, devient alors un instrument de circulation dangereux : il faut aviser à la restreindre par tous les moyens possibles, car elle trouble les rapports économiques et donne à la monnaie métallique plus de valeur que celle-ci n’en doit avoir.

On demande quelle est la limite à l’émission de la monnaie fiduciaire. Cette limite, la voici : c’est, lorsque le change est contraire, qu’elle ne soit pas un obstacle à la rentrée du numéraire, et elle sera un obstacle, si on l’augmente pour remplacer l’argent qui manque. On aura beau dire qu’elle est parfaitement garantie, qu’elle n’a été émise que contre des valeurs sérieuses : cela ne suffit pas. Le change contraire prouve que le pays a besoin d’argent et non de papier, et si on lui donne du papier au lieu d’argent, le papier se déprécie : on arrive bientôt à la situation de la Russie, de l’Autriche et des États-Unis, qui n’ont plus de numéraire parce qu’ils ont trop de papier. Par conséquent, dans les momens de crise, lorsque l’argent est rare, ce qu’il faut faire, c’est, non pas d’augmenter la monnaie fiduciaire, mais de la restreindre au contraire pour laisser à l’argent toute sa valeur et lui permettre de venir du dehors. Il faut en de tels momens que la monnaie fiduciaire puisse varier comme varierait la monnaie métallique, qu’elle diminue avec elle. C’est dans cette pensée que les Anglais ont fait l’acte de1844 ;