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gnée des apôtres. A cette époque circulait parmi les fidèles, sous le nom de Matthieu, un évangile écrit par lui en langue hébraïque ou plutôt en syro-chaldéen, seule histoire authentique de Jésus-que l’on eût jusque-là ; elle avait été composée pour les Hébreux de Palestine, et reproduisait fidèlement la pensée de Pierre et sa manière d’enseigner la religion nouvelle. Comme elle n’allait pas au-delà des prédications de Jésus, elle procédait exclusivement par des récits et par des paraboles, ne pénétrant point au fond des choses et laissant la doctrine secrète sur un arrière-plan impénétrable. Nous pouvons nous convaincre en effet, par notre version de l’Évangile selon saint Matthieu, que, si le christianisme n’était pas sorti de cette voie, il n’aurait été qu’une réforme judaïque et ne serait jamais devenu une religion universelle. C’est ce que Paul comprit, et il se donna la double mission de proclamer la doctrine secrète « jusque sur les toits » et de la prêcher aux gentils. On sait avec quelle vivacité éclata l’antagonisme de Pierre et de Paul, celui-ci accusant l’autre de tenir la lumière sous le boisseau, d’être un Israélite soumis et de trahir la cause du maître. Il prêcha donc un « autre évangile, » qui cependant « n’était pas un autre, » évangile qui devait différer profondément de la prédication de Pierre, puisqu’il dévoilait une doctrine « demeurée secrète depuis le commencement du monde, » et qui pourtant était le même, puisque cette doctrine était précisément celle que Pierre avait reçue de Jésus et qu’il retenait par faiblesse ou par obstination. La prédication de Paul fut comme une seconde apparition du Christ, dont elle dévoilait la nature, l’origine divine et la pensée suprême. De cet antagonisme naquit la lutte que tous les chrétiens connaissent, lutte qui ne se termina qu’à Rome un peu avant la mort des deux apôtres. Pierre défendait les tendances judaïques ; Paul les attaquait, disant que les Juifs étaient insensés et que les Grecs seuls étaient sages, faisant porter uniquement par les Juifs la responsabilité de la mort de Jésus et absolvant les Romains. La question entre eux était donc de savoir si la doctrine nouvelle resterait enfermée dans Jérusalem pour y végéter un peu de temps et y mourir, ou si elle devait en sortir pour vivre et grandir parmi les nations. Le fait donna raison à saint Paul, car, tandis que Pierre présidait à Jérusalem une réunion d’hommes qui n’avaient pas encore un nom à eux et que l’on appelait nazaréens, du nom d’origine de Jésus, Paul fondait à Antioche la première église véritable, et ceux qui l’entouraient prenaient pour la première fois le nom de chrétiens.

La doctrine de Paul nous est connue par des documens variés, dont les principaux sont ses épîtres et l’Évangile de saint Luc. Les épîtres sont authentiques à l’exception d’une seule, l’épître aux -