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marchand juif d’Asie-Mineure, son commerce l’avait amené aux lieux où ses coreligionnaires lapidaient le malheureux Étienne, et lui-même avait pris part à cet attentat. Fuyant à son tour la persécution, il s’était, par une résolution soudaine, tourné vers la religion nouvelle. En possession des mystères, il se donna pour mission de faire parmi les gentils ce que Pierre avait fait parmi les Juifs de Jérusalem ; il les évangélisa. Or la condition où se trouvait Paul au milieu de la société grecque n’était point celle de Pierre en Judée. Ceux des apôtres qui étaient restés parmi les Juifs étaient tenus par la loi mosaïque et par l’esprit du peuple dans un silence qu’ils ne pouvaient rompre sans être frappés ; mais le monde grec jouissait d’une liberté de penser que pourraient envier plusieurs peuples modernes : depuis la fondation d’Alexandrie et du Musée régnait en matière de religion, comme en toute autre chose, cette indépendance de la parole sans laquelle les nations ne peuvent faire aucun progrès. Paul ne devait donc rencontrer hors des hommes de sa race aucun obstacle à sa prédication. Il pensa que le moment était venu de livrer à tous la science secrète, il la prêcha dans les rues et sur les toits. Dans l’église, dont le centre était désormais à Rome, elle fut mal accueillie parce que les chefs qui la gouvernaient étaient judaïsans et ne concevaient encore le christianisme que comme une application plus complète de la loi de Moïse. Tout le monde connaît la lutte qui s’éleva entre saint Pierre et saint Paul : M. de Bunsen démontre que les mauvais traitemens auxquels ce dernier fut soumis ne peuvent être attribués à Pierre, et que la responsabilité tout entière en retombe sur les chefs de l’église de Rome, constituée alors comme une synagogue et animée de l’esprit israélite. C’est Luc qui exposa la doctrine de Paul dans cet évangile connu sous le nom d’Évangile des gentils, comme celui de Matthieu était l’Évangile des Hébreux. Peu après, les deux grands apôtres Pierre et Paul furent martyrisés ; une menace commune étant suspendue sur les Juifs et sur les chrétiens que l’on confondait dans une même haine, il se produisit parmi les fidèles un apaisement à la faveur duquel fut publié l’Évangile de saint Marc, sorte de compromis entre les deux autres.

Or le mystère que les apôtres et les docteurs de l’église avaient fait des doctrines du maître, l’ignorance où le commun des fidèles était retenu, avaient suscité dans l’église naissante des interprétations arbitraires en désaccord avec la doctrine du secret : elles devinrent assez puissantes pour que ceux qui conservaient les dernières formules cachées se crussent obligés de les divulguer entièrement, afin de rétablir la vraie tradition de Jésus et des apôtres. Ces derniers étaient tous morts ; on était en plein second siècle.