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l’Ohio, située juste au centre du grand quadrilatère formé par la belle rivière, l’Indiana, la Pensylvanie et le lac Érié. Tout alentour s’étend l’immense et monotone plateau du nord-ouest. Pas un pli de terrain à vingt lieues à la ronde. La ville d’ailleurs est jolie et taillée en grand. En face de l’auberge, sur une vaste place occupée par un square planté d’arbres, s’élève la célèbre et gigantesque state house de l’Ohio, la rivale du Capitoie de Washington. Ce monument disgracieux, avec ses longues colonnades, ses péristyles de temple grec et sa tour tronquée, sorte de donjon épais et écrasé qui semble inachevé, n’a rien de remarquable que son énormité.

Dimanche, c’est tout dire : silence, immobilité, solitude. L’hôtel est comme endormi. Je n’ai pour compagnie qu’un journal de province, d’assez pauvre entretien. Les républicains l’ont décidément emporté dans tous les états, sauf New-Jersey, Kentucky et Delaware. Les démocrates contestent encore le vote de l’état de New-York, et le World affirme que le gouverneur Seymour y est réélu. La ville même, malgré la présence du général Butler, envoyé pour y maintenir l’ordre, a donné 37,000 voix de majorité à Mac-Clellan. Quelques plaintes timides s’élèvent parmi les vaincus : ils attribuent leur défaite au vote de l’armée. Quand cela serait, je ne suis pas disposé à m’apitoyer sur le sort d’un parti qui a donné l’exemple de l’improbité. Je veux bien croire à l’influence de la force sur les élections des border states ; j’admets que celles de la Louisiane par exemple et celles du Tennessee, où Nashville, une ville rebelle, n’a donné que 25 voix à Mac-Clellan, sont des comédies jouées sous la menace du canon et du sabre. Le général Payne, « le bourreau du Kentucky, » destitué récemment avec éclat, est investi maintenant d’un commandement dans le Tennessee, et il y a mis en pratique la théorie de gouvernement qu’il exposait jadis à Paducah aux notables réunis et emprisonnés par son ordre : « Tas de coquins, je vous prendrai vos biens et je vous laisserai nus ; je vous fusillerai, je vous pendrai, s’il le faut, mais je ferai en sorte que tout homme et toute femme de votre pays disent : J’appartiens aux États-Unis. » C’est avec cette aménité et avec la loi du test oath, renforcée de temps à autre par une exécution militaire, qu’on tient les esprits dans une crainte salutaire et les votes sous une exacte discipline ; mais retranchez le Tennessee, la Louisiane, la Virginie occidentale, le Missouri même, où le parti républicain a tant d’influence, et le Maryland, où la nouvelle constitution qui abolit l’esclavage sur le territoire de l’état n’a été votée qu’à une majorité minime, quelques centaines de voix tout au plus ; laissez même de côté le vote du Nevada, érigé en état pour la circonstance, à la veille même de l’élection, — et le président Lincoln garde encore une imposante majorité. En 1860,