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au manque de communications faciles et à l’embarras toujours nouveau d’écouler les produits de l’année. La compagnie, n’ayant pas de concurrence à craindre, est maîtresse du prix de ses transports et les tient à un taux exorbitant. Souvent les malheureux fermiers ne peuvent exporter leurs récoltes, faute d’avoir un peu d’argent comptant. Ce n’est pas tout ; ils n’ont pas de chemins praticables, et cinq milles pour gagner la station voisine à travers les forêts et les fondrières valent au moins vingt lieues sur nos routes. Quand la saison est pluvieuse, il est impossible de faire aucun charroi. Si par bonheur, pendant l’hiver, la neige est profonde et dure, chacun se hâte d’atteler son traîneau et de porter sa récolte au chemin de fer ; mais alors les marchés s’encombrent, et la marchandise n’obtient pas son prix. Enfin cette existence est si rude, si précaire, que beaucoup de colons endettés se décident à assurer au moins leur subsistance et celle de leurs familles en traitant avec des entrepreneurs qui se chargent de les défrayer de toutes les choses nécessaires à la vie en retour de l’abandon absolu qu’ils font de tous les produits de leur terre. Ils vivent ainsi, mais dans quelle pénurie, dans quelle sujétion ! Cependant il faut payer l’impôt, payer l’intérêt de leurs terres, rembourser le capital à la compagnie qui les leur a vendues, et qui ne leur fait qu’un crédit limité, quand le blé qu’ils moissonnent est aliéné d’avance et qu’ils attendent la nourriture quotidienne d’une main étrangère qui jamais ne les paie en argent. C’est la misère qui les a chassés d’Europe ; mais ils la retrouvent ici presque aussi dure et presque aussi humiliée.

La faute en est aux compagnies de chemins de fer. Si, au lieu de tenir leurs débiteurs sur l’extrême limite de la ruine et de pousser leurs prétentions jusqu’au dernier degré du possible, elles modéraient un peu leurs exigences, peut-être ces populations pauvres leur rendraient-elles leur sacrifice au centuple. C’est assurément leur droit, le droit absolu de chacun de mettre ses conditions à ses services. Le monopole est toujours mauvais ; mais la libre concurrence n’est pas non plus une panacée souveraine. Il y a des monopoles naturels qu’on ne peut détruire, et dont il est au moins nécessaire de limiter les conséquences. Ces compagnies ont dû, pour se fonder, obtenir des chartes et des concessions du gouvernement : je ne vois pas pourquoi en échange il ne leur imposerait pas des tarifs modérés et des règlemens sérieux.


Columbus, 13 septembre.

Je ne me suis pas arrêté à Cincinnati, Toutes les personnes que j’y cherchais étaient absentes. Je me suis hâté de gagner Columbus, où m’enferme le repos du dimanche ; Columbus est la capitale de