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homme, appartenait au parti régnant dans le Maryland, au parti qui était maître de tous les pouvoirs. On a vu à Baltimore des canons braqués sur les polls menacer les votans de la mitraille comme des prisonniers ou des galériens, il y a des gens qui appellent cela les excès de la liberté.

Les hommes du nord sont plus paisibles ; en général ils préfèrent les spectacles aux batailles. Tantôt les démocrates tirent des feux d’artifice, tantôt les républicains annoncent une grande parade avec Union car and Monitor et combat naval aux flambeaux sur le lac. L’enthousiasme se mesure à la longueur des processions ; on en cite qui ont mis trois heures à défiler. Les minstrels dans les théâtres, les prédicateurs dans les églises prennent part à la mêlée. Les spirites font parler les âmes des morts : il n’y a pas de petits moyens. On raconte l’histoire d’un candidat malheureux à qui un montreur d’ours faisait une concurrence redoutable. Il eut une idée de génie : il acheta le saltimbanque, l’attacha à sa suite, le montra pour rien à son auditoire. Dès lors la foule se pressa pour l’entendre, et il fut nommé haut la main…

J’ai vu ce matin défiler dans les rues des gens qui ne s’inquiètent guère de savoir qui sera élu. Ce sont neuf cents émigrans européens, hommes et femmes, Allemands pour la plupart et menés en troupeau par des agens recruteurs du gouvernement des mormons. Il en passe tous les mois quelques centaines ; ce ne sont, vous pouvez le croire, ni des fanatiques ni des prosélytes : ce sont de pauvres gens qui fuient la misère du pays natal, attirés par la promesse d’un gros salaire et d’une vie facile. Les mormons, depuis quelques années, s’occupent activement de développer leur population. Ils sont déjà cent mille, et ils comprennent que les États-Unis leur passeront bientôt sur le corps, s’ils ne se hâtent de former un grand peuple. Ce qu’on dit de leur luxe, de leur prospérité, du mouvement d’affaires qui se fait dans leur ville, est véritablement merveilleux. Peuple agricole et manufacturier, ils sont de beaucoup en avant des rudes populations d’aventuriers et de mineurs que les États-Unis envoient au-delà des montagnes, séduits par l’appât d’une fortune rapide, Ils sont devenus les fournisseurs de tous leurs voisins, et les tiennent pour ainsi dire tributaires de leur industrie. Ce sont les convois de mules partis du Lac-Salé qui nourrissent les territoires de Montana, d’Arizona, d’Idaho, une partie même du Colorado et du Nouveau-Mexique. Les mormons n’aspirent plus guère qu’à former à eux tout seuls un état indépendant au sein de l’Union fédérale. On les dit tout prêts à abandonner les voies de Dieu pour entrer dans les voies du siècle. La façon dont ils se recrutent ne tend pas à augmenter le nombre des croyans.