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antique. C’est une fille de la madone païenne bien portante et gaie, mais plus femme que sa mère.

Elle n’est pas encore adulte, sûre de toutes ses démarches ; elle commet des gaucheries. Au dehors, les façades latérales sont monotones. Au dedans, la coupole est un entonnoir renversé, de forme étrange et désagréable. La liaison des deux bras de la croix est déplaisante, et quantité de chapelles modernisées empêchent le plaisir d’être pur comme à Sienne. Au second regard cependant, tout cela s’oublie, et l’ensemble reparaît. Quatre rangs de colonnes corinthiennes surmontées d’arcades partagent l’église en cinq nefs et font une forêt. Une seconde allée, aussi richement peuplée, traverse en croix la première, et au-dessus de cette belle futaie des files de colonnes plus petites, se prolongent et s’entre-croisent pour porter en l’air le prolongement et l’entre-croisement de la quadruple galerie. Le plafond est plat ; les fenêtres sont petites, sans vitraux pour la plupart ; elles laissent aux murs la grandeur de leur masse et la solidité de leur assiette, et parmi ces longues lignes droites et simples, dans ce jour naturel, les innombrables fûts luisent avec la sérénité d’un temple antique.

Non pas un temple antique tout à fait, et c’est là le charme étrange : au fond du chœur, un grand Christ en robe dorée, avec la Vierge et un autre saint plus petit, occupe tout le creux de l’abside[1]. Sa figure est triste et douce : sur ce fond d’or, dans la pâleur du jour affaibli, il apparaît comme une vision. Certainement quantité de peintures et de constructions au moyen-âge correspondaient au besoin d’extase, D’autres débris indiquent la décadence et la barbarie profonde d’où l’on sortait. Il reste une des anciennes portes de bronze couverte de bas-reliefs en bronze informes et horribles. Voilà, ce que les descendans des statuaires gardaient de la tradition antique, ce que l’esprit humain était devenu dans le chaos du Xe siècle, au temps des invasions hongroises, de Marozzia et de Theodora : figures tristes, mornes, étriquées, cassées, mécaniques, Dieu le père et six anges, trois d’un côté, trois de l’autre, penchés avec le même angle comme des capucins de cartes ; les douze apôtres rangés en file, six par devant, six dans les vides intermédiaires, comme ces ronds munis de trous figurant les yeux et d’appendices figurant les bras que les enfans barbouillent sur leurs cahiers d’orthographe. Par contre, les portes d’entrée, sculptées par Jean de Bologne[2], sont pleines de vie : des feuilles de rosier, de vigne, de néflier, d’oranger, de laurier,

  1. Par Jacopo Turrita, le restaurateur de la mosaïque.
  2. 1602.