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dit Vasari, étant au sommet de leur grandeur et de leur avancement, seigneurs de la Sardaigne, de la Corse et de l’île d’Elbe, et leur cité étant pleine de grands et puissans citoyens, rapportaient des lieux les plus éloignés des trophées et dépouilles infinies. », A Byzance, en Orient, dans les vieilles cités encore remplies de ruines de l’élégance grecque et de la magnificence romaine, parmi les Juifs et les Arabes, leurs visiteurs et leurs chalands, au contact des idées étrangères, le jeune peuple surgissait et démêlait sa pensée propre, comme autrefois les cités grecques au contact de la Phénicie, de Carthage, des Lydiens et de l’Égypte. En 1063, pour honorer la Vierge qui leur avait donné la victoire sur les Sarrasins de Sardaigne, ils commencèrent à bâtir le Dôme.

C’est une basilique presque romaine, je veux dire un temple surmonté d’un autre temple, ou, si vous l’aimez mieux, une maison ayant son pignon pour façade, et ce pignon coupé à la cime pour porter une autre maison plus petite. Cinq étages de colonnes revêtent toute la façade de leurs portiques superposés. Deux à deux, elles s’accouplent pour porter de petites arcades ; toutes ces jolies créatures de marbre blanc sous leur arcade noire forment le peuple aérien le plus gracieux et le plus inattendu. Nulle part ici on ne sent percer la douloureuse rêverie du moyen-âge septentrional ; c’est la fête d’une jeune nation qui s’éveille, et, dans la joie de sa richesse récente, célèbre ses dieux. Elle a ramassé des chapiteaux, des ornemens, des colonnettes entières, sur les côtes lointaines où ses guerres et son commerce l’ont conduite, et ces fragmens anciens entrent dans son œuvre sans disparate, car elle la coule instinctivement dans l’ancien moule et ne la développe que par un grain de fantaisie, du côté de la finesse et de l’agrément. Toutes les formes antiques reparaissent, mais remaniées dans le même sens par la vive originalité nouvelle. Les colonnes extérieures du temple grec se sont réduites, multipliées, élevées en l’air, et du soutien ont passé à l’ornement. Le dôme romain ou byzantin s’est effilé, et sa pesanteur, naturelle s’allège sous sa couronne de fines colonnettes à mitre ornementée qui le ceignent par le milieu de leur délicat promenoir. Aux deux côtés de la grande porte, deux colonnes corinthiennes se recouvrent d’un luxe de feuillages, de calices, d’acanthes épanouies ou tordues, et du seuil on voit l’église avec ses files de colonnes croisées, avec ses entre-croisemens de marbres blanc et noir, avec sa multitude de formes sveltes, et brillantes, monter comme un autel de candélabres. Une âme nouvelle apparaît ici, une sensibilité plus fine, non pas excessive, bouleversée, comme dans le nord, et qui pourtant ne se contente point de la simplicité grave de la robuste nudité de l’architecture