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ou de coffre à huit pans de la forme la plus simple et a plus naturelle. Sur l’entablement de chaque colonne, une femme est assise ; plusieurs ont sur la tête une couronne d’impératrice, toutes tiennent de petits enfans qui leur parlent à l’oreille. On oublie qu’elles sont de pierre, tant leur expression est vive ; elle est plus marquée que dans les antiques. Dans cette joie de l’invention primitive, on est si ravi des idées subitement entrevues qu’on y insiste avec excès ; c’est un tel plaisir que d’apercevoir pour la première fois une âme et l’attitude qui manifeste cette âme ! On n’avait pas encore beaucoup d’idées en ce temps-là, et on en étreignait plus fortement celles qu’on avait saisies. Par une nouveauté frappante, le corps, le col, la tête, un peu gros, ont une sorte de lourdeur dorique ; mais cela ne fait qu’ajouter à leur force. Au sortir des saints ascétiques et maigres, l’artiste, imitant-les bas-reliefs antiques, construit déjà la ferme charpente osseuse, les beaux membres proportionnés, la chair saine des corps de la renaissance. Dans le pays d’outre-mont, rien de pensif, de délicat, de frémissant, de finement personnel comme les physionomies et les attitudes que les artistes du nord découvriront lorsque leur génie éclora au XVe siècle[1]. Au contraire celles-ci ont la simplicité, la largeur, le sérieux des anciennes têtes païennes ; il semble que l’Italien, en ce moment où pour la première fois il ouvre la bouche, recommence le discours mâle et grave arrêté, il y a douze cents ans, sur les lèvres de ses frères de la Grèce et de ses ancêtres de Rome.

Sur les parois de la chaire, un labyrinthe de figures pressées, une longue procession octogonale, la Nativité, la Passion ; le Jugement, enveloppent le marbre de leur revêtement de marbre. Des apôtres et des vierges, assis ou debout aux encoignures, unissent et tout ensemble séparent les divers momens de la légende. Sur les rebords s’entrelace une délicate et florissante végétation de marbre, arabesques, feuillages, tout un luxe d’ornemens fins et multipliés. On se recule, étonné de cette abondance, et l’on s’aperçoit que l’on marche sur des figures. Le pavé tout entier de l’église en est incrusté ; c’est une mosaïque de personnages qui semblent tracés au crayon sur les larges dalles. Il y en a de tous les âges, depuis la naissance de l’art jusqu’à son achèvement. Personnages, processions, combats, châteaux, paysages, les pieds foulent les scènes et les hommes du XIVe siècle et des deux siècles qui ont suivi. Sans doute les plus anciennes sont raides comme des tapisseries féodales : Samson et sa mâchoire d’âne, Absalon pendu par sa chevelure, et qui ouvre de grands yeux niais, les innocens égorgés, rappellent

  1. Sculptures de Brou, de Strasbourg, du tombeau du duc de Bretagne à Nantes.