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des rires, un enthousiasme bruyant et universel. — A Pérouse, à côté de San-Domenico, est un couvent de minimes dont on a fait une caserne. Les soldats, en entrant, ont percé de leurs baïonnettes les fresques du promenoir intérieur. Aujourd’hui les figures lacérées tombent en lambeaux ; c’est tout au plus si çà et là on distingue encore la forme de quelques personnages ; la fumée d’une cuisine de soldats achève de détruire le meilleur groupe. — Un quart d’heure après, à San-Pietro, un prêtre me disait d’un air triste qu’en entrant ils avaient là aussi déchiré les peintures d’une autre chapelle ; il répétait cela d’un air malheureux, humilié ; les ecclésiastiques n’ont pas ici le même ton qu’à Rome. — Ce sont là des violences comme celles de notre révolution : le laïque et la caserne remplacent sans transition l’ecclésiastique et le monastère. Cette opposition donne à penser ; elle ne cessera guère, elle n’a jamais cessé en France ; toujours la révolution et le catholicisme demeurent armés, debout et face à face. Les peuples protestans, les Anglais par exemple, sont plus heureux : Luther a réconcilié chez eux l’église et le monde. Marier le prêtre, faire de lui par l’éducation et les mœurs une sorte de laïque plus grave, élever le laïque jusqu’à la réflexion et la critique en lui livrant la Bible et l’exégèse, supprimer dans la religion la partie ascétique, imposer dans le monde la conscience morale, c’est la plus grande des révolutions modernes. Les deux esprits sont d’accord en pays protestant ; ils restent hostiles en pays catholique, et par malheur à cette hostilité on n’aperçoit pas de terme.

Un autre marchand, un officier, mon cameriere avec qui je cause, me tiennent des propos semblables. Quelle vive et complète intelligence dans ces Italiens ! Ce cameriere qui me conte son histoire, son mariage, ses réflexions sur la vie, parle, juge et raisonne comme un homme cultivé. — Un misérable guide, demi-mendiant dans une échoppe d’Assise, avait des opinions bien liées et m’expliquait en sceptique l’état du pays. « Les paysans font la chasse aux conscrits, disait-il, mais c’est par jalousie ; leurs fils ont été pris, ils veulent faire prendre les fils des autres. Allez, le riche mange toujours le pauvre, et le pauvre ne mange jamais le riche. » Facilité de conception et promptitude d’expression, un pareil peuple est tout prêt pour le raisonnement politique ; on s’en aperçoit aux cafés ; la verve et l’abondance de la discussion sont étonnantes, et le bon sens est égal. Dans cette débâcle d’une révolution générale et d’un gouvernement incertain, chaque ville s’est administrée et maintenue par elle-même.

Ils s’accordent à dire que le parti libéral fait des progrès. Selon mon jeune officier, chaque année le nombre des réfractaires diminue ; cette année, tel bourg près d’Orvieto où il tient garnison n’en